2. 3. 2 Texte et discours

La démarche adoptée par Paul Ricoeur dans son ouvrage Du texte à l’action (1986), nous offre la possibilité de dépasser la forme statique du texte en liant, dans notre questionnement, le concept d’interprétation à celui de discours, tel que nous l’avons précédemment défini, à savoir compris en tant qu’ensemble d’actes dynamiques de significations d’un sujet dans le monde. Nous pouvons alors modéliser cette transition analogique entre le texte et le dire par le passage d’une herméneutique conçue comme technique, participant d’une logique purement textualiste, à une herméneutique relevant plus d’une démarche épistémologique globale. En acquérant un certain statut logique de généralité, l’herméneutique, entendue comme modèle de compréhension, devient un concept opératoire posant la question de la signification et de son contexte, donc de la saisie du sens comme expression d’une relation. Par conséquent, ce saut épistémique nous conduit à reformuler la question du langage et de l’interprétation en des termes proches de la pragmatique discursive telle qu’elle a été théorisée par Austin (1970). Cependant, l’insistance sur la notion de contexte permet à la théorie de l’acte illocutionnaire d’incorporer à sa problématisation les idées de durée et de temporalité.

Si, logiquement, nous considérons le discours comme l’effectuation, donc la réalisation par l’usage des règles virtuelles de la langue, une série de caractéristiques peuvent être dégagées afin de modéliser le fait discursif. Il peut être d’abord saisi comme un fait éminemment subjectif. Contrairement aux règles prescriptives du langage, le discours est effectivement lié à un sujet. Lorsque je parle, un phénomène d’auto-référentialité s’opère et me situe en tant que locuteur s’adressant à autrui. C’est pourquoi l’acte de langage est à considérer comme une instance de communication car il permet l’échange de messages entre interlocuteurs et cela par la condition de la langue qui en régit, par ses codes et ses règles, l’effectuation. Mais, en s’exprimant, le locuteur décrit et signifie sa relation au monde. Par le fait qu’un propos est toujours au sujet de quelque chose, la fonction symbolique du langage se réalise en tant que liaison des signes aux objets et des signes entre eux. En devenant l’expression de cette mise en relation, le fait discursif se caractérise, dès lors, par sa mondanité. Enfin, comme événement, il se réalise temporellement, fait irruption dans le présent, actualise le langage et inscrit locuteur et interlocuteur dans une relation d’échanges contextualisés impliquée par la situation à l’intérieur de laquelle se joue le dialogue. En suivant son déroulement diachronique propre, la situation s’ouvre au temps et à l’histoire, un rapport entre discours et temps s’établissant dès lors que le présent se signifie par la coïncidence entre un événement et son énonciation. En tant qu’instance, le discours s’accomplit comme présent et se déploie comme durée du fait même de la parole d’autrui.

Ainsi, l’analogie entre discours et texte, permettant ce glissement de la compréhension de l’un à l’autre, s’effectue par la prise en compte d’un modèle épistémologique les situant tout deux sur le même plan d’abstraction. En tant que paradigme, le discours participe, comme le texte, de cette événementialité de l’esprit humain : quand quelque chose est dit par quelqu’un, quelque chose se produit, émerge de l’informe pour s’inscrire dans la durée. Comme le texte, le discours possède une fonction objectivante qui rend possible l’analyse car dans le dire, une séparation entre le dit et le disant se réalise. En s’affranchissant du locuteur par l’extériorisation de l’énonciation, l’énoncé peut ainsi être réapproprié par un observateur et entrer dans le cadre d’une interprétation afin d’être resignifié.