4. 1 Système, structure et inconscient : l’anthropologie structurale

4. 1. 1 Le modèle total

En s’inscrivant dans le sillage de la méthode structurale, ce concept s’est trouvé d’emblée couplé, et cela est d’autant plus sensible dans les travaux de Claude Lévi-Strauss, à celui de structure, acquérant par là une force heuristique explicative indiscutable. Pour Jean Piaget, ces deux notions, dans la théorie structuraliste, tentent presque à se confondre bien que certaines distinctions puissent néanmoins être maintenues a priori. La structure, en tant qu’ «‘idéal commun d’intelligibilité’» (1983 : p. 5) d’une pluralité de disciplines allant des mathématiques, à la psychologie, en passant par la linguistique, doit être comprise, dans la logique piagétienne, en tant que système de transformation. Il y a système dès lors qu’il y a lois, c’est-à-dire principe organisant des éléments qui composent une structure. Il est de ce fait tout autant possible de l’appréhender dans le raisonnement concret d’une philosophie réaliste, en l’occurrence dans le sens d’un modèle d’organisation existant dans la nature, que dans les termes d’une formalisation, où le chercheur est conduit à prendre en compte un autre domaine de la réalité, celui propre au modélisateur qui organise des données extérieures à lui. Piaget indique à ce propos que ‘«’ ‘cette formalisation est l’oeuvre du théoricien, tandis que la structure est indépendante de lui.’ ‘»’ (ibid. : p. 7). L’idée de structure et par là de système peut, dans ces conditions, devenir le modèle explicatif commun à toutes les disciplines de connaissance, puisque partant d’un constat d’isomorphisme entre d’un côté la nature, son organisation et de l’autre, la manière de la penser et de l’organiser. Elle permet en même temps de rompre avec l’atomisme en lui objectant la notion de totalité, corrélative à son modèle à caractère holiste. Les structures en tant qu’agrégats composés d’éléments indépendants du tout, n’existent que par le fait qu’en tant que tout, elles sont plus que la simple somme de leurs parties. Comme l’indique Piaget sur ce point : «‘Une structure est certes formée d’éléments, mais ceux-ci sont subordonnés à des lois caractérisant le système comme tel ; et ces lois dites de composition ne se réduisent pas à des associations cumulatives, mais confèrent au tout en tant que tel des propriétés d’ensembles distincts de celle des éléments.’ ‘»’ (ibid. : p. 8). Par conséquent, surgit ici la notion de relation comme caractéristique différenciant les structures de l’addition pure et simple des éléments les composant : la structure ne réside pas dans l’opération cumulative de A+B+C... mais dans le jeu relationnel qui lie mutuellement et réciproquement A avec B avec C, ainsi que A avec C.

De son côté, le philosophe François Wahl en introduction à l’ouvrage de Dan Sperber Le structuralisme en anthropologie admet, avec Lévi-Strauss, que les objets des sciences structurales offrent un caractère de système, «‘c’est-à-dire tout ensemble dont un élément ne peut être modifié sans entraîner une modification de tous les autres ; il [Lévi-Strauss] proposait comme leur instrument : la construction de modèles ; et comme la loi de leur intelligibilité : les groupes de transformation commandant l’équivalence entre modèles et présidant à leurs emboîtements.’ ‘»’ (1968 : p. 11). Cependant, à cette définition trop généralisante selon lui, il en amène une seconde : ‘«’ ‘Sous le nom de structuralisme se regroupent les sciences du signe, des systèmes de signes.’ ‘»’ (ibid. : p 12). Cette définition englobe, dès lors, tous les faits anthropologiques pour autant qu’ils passent par les faits de langue, compris dans l’institution d’une relation de type signifiant-signifié et «‘se prêtent au réseau d’une communication - et qu’ils reçoivent de là leur structure’.» (ibid. : p. 12). Cette orientation sémiotique de la démarche structuraliste peut tout à fait convenir aux fondements de l’analyse de Lévi-Strauss (1973, 1974) pour qui nous connaissons l’importance de l’apport de la linguistique de Saussure et phonologique de Jakobson. Dans les termes de cette logique, au-delà ou en deçà des processus de transformation des langues, il y a le système, en l’occurrence, pour reprendre les termes de Piaget, «‘l’ensemble des significations [formant] naturellement un système à base de distinctions et d’oppositions, puisque ces significations sont relatives les unes aux autres, et au système synchronique, puisque ces relations sont interdépendantes.’ ‘»’ ‘ ’(ibid. : p. 65). Par conséquent, en faisant ainsi surgir la relation et l’interrelation, la notion de système deviendrait a-temporelle, puisque par-delà les transformations des langues, il ferait advenir un principe organisateur, instigateur de liaisons immuables échappant aux aléas du temps. De la même façon, en postulant le refus d’un primat du social sur l’intellect, en cherchant les relations concrètes, sous-jacentes, sous-tendant ces mêmes relations, le structuralisme anthropologique de Lévi-Strauss s’inscrit résolument à la suite de ce principe détemporalisant et anhistorique, profondément ancré dans une perspective synchronique. L’idée de changement n’est pas cependant totalement rejetée, l’Histoire peut être encore vecteur de transformations, seulement ces transformations demeurent soumises à des normes, mais qui, comme l’écrit Piaget, «tiennent aux « structures « qui sont permanentes, un tel synchronisme étant donc en quelque sorte l’expression d’un diachronisme invariant !» (ibid. : p. 91). Dès lors, le modèle saussurien de la structure-système poussé dans ses derniers retranchements devient l’ultime moyen explicatif logiciste permettant d’appréhender de façon globale tous les phénomènes humains. Il est alors possible de trouver au travers de divers types d’organisation - de la parenté aux mythes - des structures, des agrégats fondamentaux d’unités, qui à la manière de signes algébriques, peuvent non seulement formaliser mais aussi expliquer et typologiser les comportements cognitifs.