4. 2. 2 La dérive ontologique du Langage

Henri Lefebvre, dans sa critique radicale de la méthode structuraliste (L’idéologie structuraliste, 1971), s’est montré particulièrement virulent quant à la logique qu’emploie Foucault et surtout quant à son usage de la notion de système. En effet, selon lui, le système dans cette pensée, mais la remarque est aussi valable pour la structure de Lévi-Strauss, finit par outrepasser ses droits, ses «‘conditions de recevabilité’» (1971 : p. 68). Véritable mode systématisant qui en nous préexistant devance toute pensée humaine si bien que le savoir ne tient qu’en la découverte de sa seule et unique existence. C’est la «pensée-pensée» qui précède et englobe la «pensée-pensante», qui devient «‘la raison de la pensée du système’» (ibid. : p. 65). En tant que pensée sans pensée-pensante, le système ancre son existence sans l’homme, sans sujet, il «‘se saisit en lui-même, dans et par le langage, qui fixe le statut de l’être humain’.» (ibid. : pp. 65-66). Au-delà de la réalité et de la multiplicité des époques et des contextes, il y aurait un Système unique et absolu, le «‘système d’avant tout système, fond sur lequel scintille un instant la subjectivité consciente’.» ( ibid. : p. 66). Par l’instauration d’un métalangage, où le langage n’a plus qu’affaire à lui, et à lui seul, la méthode structuraliste constituerait un dispositif qui en définissant la société, l’homme, ses formes de pensées comme système unifié, finirait par dissoudre la multiplicité des réseaux complexes composant les trames sociales. Pour Lefebvre, ce grand écart interprétatif passe par une double affirmation qui conduit l’analyse à s’abîmer dans l’hypothèse réaliste. En effet, le structuralisme dans lequel il range aussi la pensée foucaldienne, dans un premier temps, propose un modèle ressortant du domaine de l’intelligible et d’ordre épistémologique et méthodologique. Mais, dans un deuxième temps, ce modèle se mêle à une deuxième affirmation qui, elle, porte sur le réel et postule une identité ontologique entre d’un côté le normatif et l’intelligible et de l’autre, le réel. Cette dérive serait dans ces conditions le produit d’un détournement de la logique linguistique et c’est à partir d’elle que découlerait une confusion entre ce qui, dans la langue, peut être systématisé (le système des signes, le système phonétique ou morphologique du code grammatical, par exemple) et ce qui ne peut pas l’être puisque ressortant d’une logique plus translinguistique (l’emploi des phrases, l’effectuation de la langue par le discours en actes...). Cet amalgame entre niveaux, formes, virtualité et effectivité par une réduction au seul phonologique, amènerait, chez Lévi-Strauss, l’instauration d’une identité de faits entre les règles de parenté, les règles économiques et linguistiques. Pour Foucault, le discours en se coupant des pratiques, finirait par n’être plus que le référentiel de lui-même, le révélateur de la cohésion, de la cohérence du Système : «‘la référence ’ ‘«’ ‘vécue’ ‘»’ ‘ aux objets et au monde des objets, aux situations doit tomber pour que subsiste seul le système des signes, sans substance, sans détermination outre que sa transparence.’ ‘»’ (ibid. : p. 93). Cette logique en dissolvant les différences, les singularités dans ce que Lefebvre appelle ‘«’ ‘la luminosité de l’essence la plus générale’» (ibid. : p. 101), en admettant que les mots seraient au-dessus ou avant les choses, conduirait à une forme de dogmatisme théorique ou système et structure nivelleraient dans un même élan d’épuisement du réel, la diversité des méthodes des sciences humaines.