5. 3 Le temps de la division

Tout comme le XVIIIème siècle, le XIXème siècle apparaît comme une époque contrastée qui, à la fois, concrétise et enracine les significations du corps envisagées au cours des trois siècles précédents mais qui envisage aussi de le considérer autrement ou, en tout cas, de poser les prémisses d’une réflexion nouvelle quant à sa définition et son statut. L’épistémologie rationaliste, héritière de Descartes et d’une forme de platonisme radical, prolonge son rejet de la sensibilité, la considérant comme mauvaise et à séparer définitivement de l’intelligibilité. En effet, et comme nous l’avons dit, la sensibilité est alors comprise comme une erreur, une illusion imaginaire qui fait obstacle à la connaissance, plus particulièrement scientifique. Ainsi, dans cette logique, pour échapper à sa trop grande et facile évidence, il serait nécessaire d’avoir recours à mise à distance du corps et des sens par une appréhension des faits par la raison seule. Ce sont alors des domaines spécialisés mais morcelés qui remplacent le champ d’une connaissance auparavant homogène en réalisant un très grand nombre d’expérimentations sur l’homme et son corps. La science positive le pose dès lors comme objet de recherche et d’observation afin de constituer un savoir précis et reproductible. La connaissance objective vise alors au contrôle méthodique de la dimension corporelle. C’est ici que nous voyons naître les sciences humaines qui cherchent à connaître l’homme, à l’expliquer selon des lois générales, comme pour Claude Bernard qui tentera de mettre à jour les lois internes du corps qui en déterminent les changements. L’ensemble de ces sciences trouve dans cette pluralité, cette dispersion des corps et de leurs significations, les moyens de leur propre constitution et autolégitimation. Il ne s’agit pas véritablement de se préoccuper du corps mais plutôt de s’en occuper selon son statut de chose. C’est vers son mode de fonctionnement que l’on se tourne, que s’établit la recherche du matérialisme et du positivisme. La nature apparaît comme un système de relations entre causes et effets et cela dans une simultanéité répétitive. Le corps se trouve alors soumis intérieurement comme extérieurement à ce principe de causalité pour ne plus être considéré qu’à la lumière des déductions scientifiques qu’on lui accole.

Mais au XIXème siècle, d’autres formes de réappropriation du corps émergent. Il entre alors dans un jeu de considération où s’affirme le culte de l’apparence, la mode devenant le moyen d’adapter son apparence individuelle à un ensemble de conventions sociales. Parallèlement se développe une esthétique de l’érotisme où le corps n’apparaît plus comme le lieu du refoulement mais bien au contraire celui de l’exaltation. Il est alors considéré comme une partie somme toute nécessaire au développement de soi, presque naturelle. Le soma est toujours distingué de l’esprit mais il n’est plus dénigré ou examiné sous le seul angle de l’observation, mais au contraire se trouve accepté pour que chacun puisse en tirer profit. Dans le même temps et avec les sciences chirurgicales, l’homme cherche à agir sur sa propre enveloppe corporelle. Elle est alors perçue comme une norme naturelle que la médecine doit tenter de retrouver par des artefacts et cela dans la visée de restaurer une apparence fonctionnelle complète afin de donner au sujet l’image d’un soma normal et conforme au modèle supposé. De même, la santé passe par l’identification des microbes (Koch) ainsi que par une modification du milieu intérieur du corps humain au moyen d’une injection extérieure qui va produire une réaction de l’organisme. Cette expérience permettrait ainsi de penser cette modification dans une relation, puisqu’ en agissant de l’extérieur sur le milieu intérieur, on crée un ensemble de manifestations évident. Bientôt la science cherchera de la même manière à décomposer la cellule puis le gêne, le chromosome, afin d’établir une chaîne causale susceptible de prouver que l’histoire du corps est une histoire, elle aussi, naturelle.