1. 1 L’association Shiva

Cette association semble, d’après ce qui nous en a été dit, avoir été créée à Lyon, au début des années soixante-dix, période faste, comme nous l’avons vu, en échanges entre l’Inde, l’Europe et les États-Unis. C’est sur l’impulsion de son propre guru vieillissant que, Mahat, le guru de l’époque aujourd’hui disparu, dû s’ex-porter, afin de poursuivre la transmission de l’enseignement dont il était désormais presque le seul détenteur. Il fallait, et cela contrairement à ses aînés, qui, eux, n’eurent jamais le besoin ou la possibilité de le faire, partir, s’arracher à sa terre afin de maintenir vivace voire d’accroître l’influence d’un savoir ancestral mais délaissé dans sa dimension spirituelle par les Indiens - de nombreux gurus se plaignaient en effet dans les années cinquante et soixante du manque d’intérêt des leurs pour le yoga -. Dès lors, l’Occident par sa soif d’ailleurs et d’exotisme et par cette fascination contrariée qu’il a nourri vis-à-vis de l’Inde, apparût comme l’ultime territoire, au sein duquel la transmission pouvait perdurer. Et si Mahat a pu venir à Lyon, c’était aussi à la suite de l’invitation d’une poignée de personnes qui l’avaient rencontré en Inde, dans son ashram, cette ex-portation prenant alors sens dans un mouvement d’échange réciproque. Mais Lyon n’a été qu’un élément infime parmi une multiplication d’échanges qui ont visé à investir la France, l’Europe mais surtout les États-Unis. Aujourd’hui, le groupe Shiva possède un rayonnement international incontestable, ostensiblement revendiqué par ses membres. Nâyîkâ, le ou plutôt la guru actuelle, et nous reviendrons plus loin sur ce point, demeure aux États-Unis, près de New-York, où a été construit le principal ashram du groupe vers lequel chaque adepte peut, ou se doit, d’effectuer un pèlerinage. Même si l’Inde se trouve de ce fait un peu reléguée à l’arrière-plan, elle n’en reste pas moins la représentante du lien originaire avec les gurus, les ashrams historiques, bref tout ce qui constitue les racines fondatrices de l’enseignement. Cependant, c’est en Amérique du nord que se situe le centre névralgique du groupe, où tout perdure, se constitue, où l’ensemble des différentes associations fédèrent leurs relations. Ainsi, la grande communion universelle annuelle qui marque, pour tous, au même moment (à minuit, heure de New-York), le passage d’une année à une autre, et où Nâyîkâ offre sa bénédiction, se fait, en direct, live. On voit bien là que seule la guru concentre dans sa présence ce lien à la lignée, à une Inde gestative. Elle apparaît comme ce lien vivace bien que délocalisé qui toujours ramène sans se mouvoir l’adepte, au sens de celui qui a adopté l’enseignement, à cet espace géniteur premier. Chaque apparition du guru provoque ainsi un arrachement de l’adepte à son contexte, chaque parole prononcée par la guru se voit traversée, sous-tendue par un idiome qui mêle invariablement le yogi occidental aux racines supposées de sa pratique. Le guru par son corps, sa parole, en incarnant la lignée, se fait aussi présence charnelle d’un corps mythique - et la présentation vestimentaire de Nâyîkâ marque toujours cette délocalité ambiguë, qui la situe quelque part entre orient et occident, quelque part entre Bombay, Paris et New-York -. De même, les revues officielles de l’association Shiva n’ont de cesse de décrire leur guru comme prise dans un aller-retour incessant entre ces deux mondes, comme si chacun de ses retours au pays originaire revivifiait un peu plus le présent de la lignée.

Aujourd’hui, en France, l’association Shiva compte plusieurs centaines de membres, alors qu’à l’échelle mondiale, c’est par plusieurs milliers qu’il faut les dénombrer. Mais les débuts, et cette remarque est, nous le verrons, valable aussi pour les autres groupes, ont été difficiles, hésitants, balbutiants, presque hasardeux : peu de monde, à l’exception de quelques pratiquants très impliqués, pas d’endroits fixes ou alors précaires pour se retrouver... Comme il nous l’a été précisé, les premiers séjours de Mahat aux États-Unis, se sont faits «dans un hôtel », avec «deux ou trois pelés «. Et ce ne semble être qu’au bout de longues années de ténacité que progressivement le groupe a pu se constituer. Comme si du rien avait pu surgir le tout, comme si ailleurs que dans ses terres originaire, cette quintessence d’un savoir presque oublié avait pu être retrouvée, se tenant désormais à la disposition de ceux qui décident de faire un pas dans sa direction. Ainsi, le centre lyonnais incarne, lui aussi, à son échelle, cette potentialité d’un accès localisé à la totalité de l’enseignement. Il affirme avec ostentation ses atours : une salle neuve, constamment entretenue par tous, salle où a lieu, et uniquement là, l’ensemble des pratiques et des rites. Ici et nulle part ailleurs... comme pour l’ashram de New-York, c’est en ce seul lieu que se fédère à l’échelon de Lyon l’ensemble des pratiques, des rencontres entre nouveaux venus et anciens, initiés et non-initiés, lieu devenant alors le passage obligé et nécessaire pour chaque adepte, une scène tout à la fois de convergences et de relais...