1. 2 L’association Shakti

Cette association a été créée en 1985 par Marc, lui-même initié par une lignée de gurus Indiens, et dispose de la même salle de pratique depuis 1988. Comme pour la précédente association, les débuts ont été assez laborieux : cours disparates dans diverses MJC, première salle inconfortable située vers le quartier de la Croix-Rousse, un nombre restreint et fluctuant de pratiquants... Et si nous prêtons attention au discours des membres de ce groupe, c’est le fait d’utiliser une salle fixe qui a très largement contribué à la modification des possibilités de leur enseignement :

Pour Bernard et Véronique, pratiquants depuis plus d’une dizaine d’années, et qui ont connu les débuts hasardeux de l’association, cette salle est non seulement le lieu d’inscription de la pratique rendant possible par là son effectuation donc sa perpétuation, mais c’est aussi le lieu qui, dans une certaine mesure, la préserve, la protège... ce n’était plus «ouvert à tout le monde », on ne donnait plus «à n’importe qui, n’importe comment »... Seuls les élèves prêts à cheminer avec la lignée tout entière sont dès lors reconnus et acceptés. De la même façon, la création de l’association et de cette salle contribuent à asseoir définitivement l’autorité du maître, reconnu par ses ascendants spirituels Indiens, et donc à personnaliser la transmission même de l’enseignement. Le groupe en existant «pour lui », par lui - Marc et le savoir qu’il transmet se confondant presque en un tout indiscerné - peut alors affirmer son originalité propre. Ici, contrairement à l’association Shiva, le relais rendant effective la pratique réside en la personne de Marc. C’est lui et lui seul qui détient les connaissances nécessaires à la perpétuation des techniques même si, et nous y reviendrons, chaque élève doit, à sa mesure, contribuer personnellement à cette même perpétuation. Pour Shiva, la relation à l’enseignement est directe, elle passe par la relation immédiate et incontournable avec la guru en tant que principe spirituel incarné, en l’occurrence avec Nâyîkâ. Pour Shakti, cette relation ne se fait que par l’intermédiaire de Marc, devenant la présence vivante et active de la tradition, l’intermédiaire entre l’Inde et l’association, entre les élèves et le guru, entre le groupe et la tradition. Pour Shiva, la relation se veut sans médiation, le dialogue avec la tradition passe inévitablement par le dialogue personnifié du guru - le guru étant l’essence même de la tradition, son incarnation au sens littéral du terme - ; pour Shakti, ce dialogue est comme dérivé, Marc étant plutôt un intermédiaire, un passeur, certes nécessaire, mais qui, cependant, ne se substitue pas à la lignée qu’il rend présente. Et dans ce processus, la salle de cours proprement dite devient ce point de rencontre pour chaque élève, le lieu qu’il n’est même plus nécessaire de définir, d’expliciter. Un simple, et nous l’avons souvent entendu, «on se rejoint à la salle » suffit à se comprendre... Un lieu comme lieu d’apprentissage et d’effectuation de la pratique mais aussi un lieu de rencontres, d’échanges, un lieu où peuvent et doivent être envisagées collectivement les décisions nécessaires quant au fonctionnement et à l’organisation de l’association : cours, voyages, stages, sorties collectives, mais aussi gardes d’enfants, ventes de produits artisanaux, propositions de services...

L’association Shakti, composée de différents groupes de niveaux - des élèves débutants aux plus confirmés - comprend actuellement un peu moins d’une centaine de membres. Pendant les différentes années où nous les avons suivis, l’association comptait plus de 150 adhérents. Si Marc demeure le relais primordial, les contacts avec l’Inde et le guru restent néanmoins riches et soutenus. Des voyages réguliers sont organisés en Inde ou ailleurs, parfois en France, afin de le rencontrer. Il est à noter que cette notion de rencontre est glissante puisque pour eux, cela est aussi valable pour les autres associations, la relation à l’autre-guru n’est pas nécessairement physique, mais aussi et surtout énergétique et spirituelle. D’un point de vue pratique, le guru étant assez âgé, ses déplacements d’une latitude à l’autre tendent à se raréfier. Il ne peut plus facilement subir, comme par le passé, les ruptures climatiques ou encore les importants changements d’horaires inhérents à un voyage en Europe. De fait, la relation de communication s’effectue autrement et notamment par l’usage du fax.. Cependant, cet aspect énergétique des relations de communication, et sur lequel nous nous attarderons, apporte un contrepoint immédiat à toute communication matérielle dont nous pouvons tous, nous individus du commun, disposer à loisir. Ici, c’est aussi une autre forme de lien qui se tisse, l’épaisseur d’une trame qui s’ourdit en secret, comme une réponse invisible au monde tangible, le monde des phénomènes ne constituant plus que l’univers factuel du visible, de l’évidence généralement admise.