II - LE CHEMIN DES GURUS : LES ARPENTEURS

Les parcours de chacun de ces groupes ne peuvent être séparés du destin de ceux, à savoir les gurus, qui en raison de leur propre cheminement spirituel et existentiel ont été à la genèse de leurs histoires respectives, destin qui apparaît comme ce lien tenace reliant le simple élève à la raison même de l’existence de son enseignement, à l’ultime cause de son modus operandi. Le guru, en tant qu’incarnation humaine d’un savoir, voit le tracé de sa vie suivre les courbes sinueuses de ce chemin qui ne peut que le conduire à cette seule et unique destinée : la réalisation de sa propre sagesse dans l’exercice même de la transmission. Il ne peut ainsi assumer sa condition charnelle, nier sa fragilité et fuir son inévitable finitude que par le don à d’autres de ce qu’il sait, de ce qui ne peut plus se discuter, puisque se confondant, comme le dit Maurice Blanchot, avec l’«inconnu» de ce que, pourtant, il connaît. Par sa «‘transcendance de maître’», c’est ‘«’ ‘sa valeur propre, sa valeur d’exemple, ses mérites de guru et de zaddik [...], non plus la forme de l’espace interrelationnel dont il est l’un des termes, qui deviennent principe de sagesse’» (1969 : p. 6). En étant bien plus qu’un simple détenteur, puisque c’est totalement, essentiellement, qu’il se fond en ce tout indiscernable des vérités qui le traversent, il devient cette vivante expression unique en soi des secrets qu’il se doit de révéler34.

Lorsque l’on se penche sur les écrits biographiques ou sur les discours de ces gurus, il semblerait que ce soit toujours le voyage qui a un moment ou à un autre préside au geste initiateur de ce qui va les conduire à aller à la rencontre de l’autre afin de transmettre leurs savoirs. Un peu à l’instar de ces nomades qui «‘comme dans un rêve’» sillonnent les dunes du Désert de J. M. G. Le Clézio, c’est toujours dans la poussière du pas du pèlerin que paraît se sécréter cette inévitable destinée de passeur à laquelle est consubstantiellement lié le guru. Le voyage comme mise en mouvement, comme détenteur de ce que réserve l’avenir... Un voyage en forme d’Odyssée, au sens de Catherine Malabou, qui écrit en écho à Jacques Derrida : «Le ‘«’ ‘ chemin d’Ulysse ’ ‘«’ ‘ serait donc dérive à partir de et vers un point fondateur. La dérive comme indicateur de provenance l’emporte sur la dérive déroutante dans la stricte mesure où l’origine n’est pas elle-même sujette à la dérive qu’elle rend possible ; ’ ‘l’origine ne voyage pas’ .» (1999 : p. 14). Dès lors, le voyage du guru, en tant que révélateur d’une essence, en l’occurrence révélateur de sa propre essence, véritable surgissement phénoménologique, se sépare du voyage sans vérité de Derrida, «‘qui n’atteindrait plus jamais à la chose même, (...) n’y toucherait même pas. Pas même au voile derrière lequel une chose est supposée se tenir’» (ibid. : p. 36). Bien au contraire, par sa force initiatique, il le confronte à sa condition de guru déchirant par là ce «‘voile de l’étrangeté’» posé sur les choses, les êtres et le monde, et cela en lui manifestant les conditions de sa propre vérité...

Notes
34.

Dans la tradition hindouiste, le guru est “celui dont on peut apprendre”. Pour certains, commentateurs, le terme sanscrit de guru renverrait aussi à celui de “lanterne” ou de “lumière”. Ainsi, il serait celui dont la sagesse “dissipe les ténèbres”.