3. 4 Un imaginaire énergétique

3. 4. 1 La machine

Cette vision d’un corps tout autant énergétique qu’énergisé, sillonné par un principe à la fois dynamisant et stabilisant, présent dans un déjà-là mais devant s’accomplir à tout prix dans un mouvement sans cesse reconduit, peut être rattachée à certains symboles, images et significations liés à l’essor de la modernité industrielle et scientifique. Les quelques exemples qui suivent se référant tout autant à Helmotz qu’à Freud ou Bergson esquissent les contours de cet imaginaire énergétique. Le XIXème siècle fût d’un point de vue économique et technique le siècle de l’énergisme triomphant. Dès 1811, avec Joseph Fourier, la thermodynamique naissante va reposer la question de la production d’énergie mécanique. Comme le montrent Isabelle Stengers et Ilya Prigogine dans La nouvelle alliance, le feu devient alors le point de convergence de toutes les interrogations. Ignis mutat res... Le feu transforme les choses... Dans le processus de combustion, de la chaleur se dégage, entraînant une variation de volume qui à son tour peut produire un effet mécanique. Par conséquent, c’est moins la nature de la chaleur ou de son action qui intéresse la thermodynamique que l’utilisation de son action afin de faire tourner un moteur par exemple. Progressivement, de manière extensive, ces découvertes vont nourrir l’imaginaire tout autant social, artistique que philosophique et scientifique. Les physiciens et physiologistes Allemands Helmhotz, Mayer et Liebig vont ainsi voir au travers du concept d’énergie ce principe explicatif donnant un sens et une cause générale à l’idée de nature. Pour Helmotz, «‘le principe de conservation de l’énergie n’était que l’incarnation, à l’intérieur de la physique, de l’exigence générale d’intelligibilité de la nature qui est préalable à toute science : le postulat d’une invariance fondamentale au-delà des transformations naturelles.’» (1986 : p. 176) L’univers, pour certains, s’explique alors, dans sa globalité, à la lumière de la science de l’énergie. L’homme y devient une machine énergétique ; la société, une mécanique ; la nature, une puissance infinie de création... Stengers et Prigogine : «‘Dans cette perspective, la science de l’énergie tout à la fois révèle et dissimule, sous des formes traditionnelles, la puissance de la nature. Plutôt le dispositif expérimental, où la nature productrice est maîtrisée, soumise à une équivalence préétablie, il faut, pour la comprendre, évoquer la fournaise grondante des machines à vapeur, le bouillonnement des transformations dans un réacteur chimique, la vie et la mort des individus et des espèces, autant d’expérimentations où se déploie sa puissance créatrice et destructrice. Cette conviction que la nature n’est pas un système en ordre mais l’éternel déploiement d’une puissance productrice d’effets antagonistes, affrontés dans une lutte pour la suprématie et la domination, a certes des résonances et des racines philosophiques ; il n’est pourtant pas interdit d’y entendre également le bruit des machines, non pas les appareils de laboratoire mais les machines industrielles qui, en moins d’un siècle, avaient produit des effets sans commune mesure avec les machines simples, mues par l’eau, le vent et le travail animal ou humain, qui inspirèrent la science classique’.» (ibid. : p. 178)