3. 5 Le mot-matière ou la vibration de la langue

Si, comme nous l’avons vu, cette notion d’énergie, baignée d’un certain imaginaire énergétique, désoriente la compréhension, produit du trouble dans l’interprétation à l’instar de Khôra et du non-sens deleuzien, elle nécessite pourtant un recours à la trame métaphorique pour entrer dans un processus de traduction et d’inter-compréhension. Ainsi ce souci de comparaison qui ne cesse de transparaître autant dans les discours des maîtres que des élèves : «l’énergie, c’est comme...», comme une «rivière » , un «liquide», un «fluide», une «force»... C’est comme du «musculaire » , du «magnétique » , de l’»électrique » ... Ça produit un «travail » , ça « circule » , « rayonne » , « se diffuse » ... Pourtant, l’énergie ne semble pouvoir se résorber pleinement dans cette mise en relation de termes et de significations. Témoin, cet élève : «Ce qu’il faut comprendre, c’est que c’est plus que ça... Tout ça, ce ne sont que des mots... L’énergie, elle englobe tout ça... Quand tu l’expérimentes, tu éprouves vraiment... une sorte de totalité... » Nous touchons là à ce qui semble être l’ultime caractéristique que l’on puisse rattacher à cette notion d’énergie, celle d’une fusion absolue entre le mot et la chose, entre le désigné et ce qui le désigne. Marc, maître au sein de l’association Shakti, précise :

Signifiant et signifié, sens et phonème se mêlent en un tout inextricable. Le mot signifierait ce qu’il dit au travers de sa vibration sensible et cela au-delà des contextes langagiers particuliers. Pour Marc, prenant l’exemple du sanscrit qu’il admet ne pas connaître mais «comprendre», le sens du mot et sa vérité se révéleraient dans leurs plénitudes par-delà les significations circonstanciées qu’on leur attribue conventionnellement. Le sens surgirait tel l’écho d’une mise en résonance avec ce qui le traverse en permanence, le fonde dans sa propre vérité, à savoir l’énergie. Ici, le sanscrit est mobilisé comme exemple de cette langue première, originelle qui, de par sa sécularité, semble être restée au plus «près» de l’»énergie du mot», de la langue et de la parole. Pour autant, si le sanscrit apparaît aussi comme le symbole, dans le discours de Marc, du lien à une Inde nourricière, les autres langages, à son image, s’inscrivent dans le même processus explicatif. Chaque terme ainsi que sa résonance phonétique, quelle que soit la langue, sont ce qu’ils sont, parce qu’ils disent ce qu’ils disent, telle peut être l’implication presque tautologique que produit cette conception d’un langage énergétique. Autrement dit, le terme même d’énergie se concrétise dans ce complexe sonore [ énergie ] parce qu’une même nécessité causale le traverse et en produit de fait l’agencement sensible et significatif. Mais il s’agit bien d’une traversée avec tout ce que cela implique en dynamique. Car même si le mot en particulier et le langage en général se voient réinscrits dans le prolongement d’un processus infini et immuable - l’énergie a, en effet, toujours été là -, ils n’en sont pas pour autant statiques. Ils résonnent, vibrent et c’est de cette vibration qu’il s’agit pour chaque pratiquant de s’imprégner afin de s’immerger un peu plus dans ce qui est censé constituer la vérité de l’enseignement.