3. 7 La fonction métonymique : la singulière expérience du Tout

L’anthropologue américaine Karla Poewe, en s’intéressant aux pratiques de communautés charismatiques africaines, a tenté d’examiner de son côté cette fusion dans l’expérience subjective du sens et des sens par l’introduction de ce qu’elle nomme une «‘structure métonymique’ ‘»’ ‘.’ Selon elle, l’expérience intense observable au sein de ces groupes en appelle à une autre forme d’interprétation se distinguant en partie du modèle de la métaphore. Dans son article On the metonymic structure of religion 37, elle définit, à la suite d’Edmund Leach, la métaphore comme une association arbitraire où le sens de A «représente» [ «stand for» ] celui de B. Cette association «‘peut être habituelle, conventionnelle, privée ou le fruit d’une ressemblance comme dans le cas de l’icône.’ ‘»’ ‘ ’ ‘[ ’ ‘»’ ‘The association can be habitual, conventional, private, or one of planned resemblance as in an icon.’» ] Or la métonymie implique un autre type de relation où le «signe» [ «sign» ], l’»index naturel» [ «natural index» ] et le «signal» [ «signal» ] tendent à se confondre. Ce qui ressort de la relation entre signes où «A représente B en tant qu’élément faisant partie d’un tout» [ «A stands for B as part for a whole» ], de l’index naturel où, à l’instar de l’indice peircien, «A indique B» [ «A indicates B» ] et du signal où «A déclenche B» [ «A triggers B» ] ne peut plus être distingué «si bien que la relation entre A et B devient mécanique et automatique» [ «so that the relationship between A and B is mechanical and automatic» ]. Les images, les sensations, les souvenirs auxquels le sujet va être confronté lors de son épreuve mystique sont alors perçus par ce dernier comme les signes évidents et indubitables de la présence transcendante et créatrice du Créateur. Ainsi, chaque événement expérientiel au moment de la transe par exemple devient le signe déterminé d’une totalité plus englobante. Il est à interpréter comme une donnée concrète, effective d’un principe causal qui en devient la source première et absolue. C’est en ce sens que le modèle linguistique de la métonymie peut être mobilisé. Comme le précise Poewe, ‘«’ ‘la métonymie est une figure de discours (une manière de dire quelque chose) qui permet à quelqu’un d’interpréter un événement comme le signe d’une totalité, dont il serait un élément mais aussi le produit.’ ‘»’ ‘ ’ ‘[ ’ ‘«’ ‘Metonym is a figure of speech (a way of saying something) which allows one to interpret an event or a happening as a sign that the whole, of which this event is a part, also caused it.’ ‘»’ Writing culture and writing fieldwork in Ethnos, 1996, 3-4 : pp. 177-20638 ]

Ainsi le modèle de la pensée métonymique postule la présence d’un principe total, tacitement connu, qui va devenir objet d’expérience et de réappropriation subjective par les signes qui vont en manifester l’existence. Dans le cas des Charismatiques, une «‘relation personnelle’ ‘»’ ‘ [ ’ ‘«’ ‘a personnal relationship’» ] s’établit entre l’être humain et Dieu, «‘si bien que l’adepte expérience ce dernier au travers des signes que l’Esprit manifeste. Le corps, le monde et l’univers, en ce sens, constituent un langage de signes.’ ‘»’ ‘ ’ ‘[ ’ ‘«’ ‘so that the former experiences the latter directly through signs made manifest by the Spirit. The body, world, and universe, in this sense, constitute a language of signs.’ ‘»’ ‘,’ On metonymic structure of religion ] De fait, toutes distances entre le sujet et le principe transcendant s’effondrent. Toutes formes de médiations symboliques s’effacent au profit d’une révélation pure et simple, qui fait «‘connaître subjectivement et expérientiellement une réalité qui, autrement, reste invisible et indépendante.’ ‘»’ ‘ ’ ‘[ ’ ‘«’ ‘that makes known personally and experientially a reality that is otherwise invisible and independent’.» Writing culture and writing fieldwork ]

Dans une certaine mesure, le principe de l’énergie et l’expérience qu’il implique peuvent aussi être interprétés à la lumière de ce modèle de la métonymie. De la même manière, l’expérience de l’énergie nécessite pour le pratiquant une réception totale de ses conséquences où mots, sens, corps et univers s’entremêlent indistinctement, entremêlement qu’il s’agit d’éprouver comme le signe, comme l’effet de sa propre présence. Ressentir l’énergie, c’est ainsi éprouver intimement, subjectivement, son existence. C’est percevoir, de façon concrète et personnelle, le déploiement de modalités effectives qui signifient simultanément sa réalité pour l’élève. Pour autant, comme nous l’avons précisé, si la relation personnelle à l’énergie peut être pensée dans les termes d’une métonymie où la totalité d’un principe s’éprouve par les effets déterminés qu’il est censé produire, il n’en reste pas moins que la nécessité de la métaphore demeure. La nécessité de communiquer, d’exprimer, de mettre des mots sur l’intensité d’une expérience afin de traduire ce qui ne peut rester à la simple échelle du sujet. Comme l’indique Marc de Shakti, «il faut dire » ce qui semble ressortir de l’évidence de la révélation. De la même manière pour les groupes Shiva et Ganesh, il faut dire et écrire ne serait-ce que pour permettre à l’enseignement, en tant que vecteur de ce principe énergétique, d’exister et d’être objet de transmission. Même s’il peut être collectivement partagé au moment d’une méditation de groupe par exemple, ce sentiment / révélation ne peut pourtant demeurer dans la fusion métonymique, il doit ensuite circuler, être objet, par le langage, d’une réappropriation collective. L’intensité de l’expérience, la fusion immédiate et personnelle avec la totalité aussi nécessaires soient-elles doivent alors céder la place ou du moins cohabiter avec l’interprétation partagée et distanciée de ce que cette même expérience est censée signifier non seulement pour l’individu mais aussi pour l’ensemble du groupe.

Notes
37.

Cet article est paru dans la revue Cultural Dynamics, Vol II, No.4, 1989 : pp. 361-380. Pour le consulter, se reporter à l’adresse Internet qui suit : http://www.sagepub.co.uk/journals/details/j0174.html

38.

Comme la référence précédente, il est possible de trouver cet article sur le site de la revue Ethnos : http://www.accountingtalk.com/routledge/journal/ethnos.html.