4. 2 Le croire

Cependant le concept de croyance ne peut suffire afin de mettre en évidence la dimension profondément collective de ce que la sociologue Danièle Hervieu-Léger (1993) nomme de son côté la «‘mise en sens’» de l’expérience subjective de cette

réinscription de l’individu dans une «‘lignée croyante particulière’». Selon elle, il doit plutôt laisser place à la notion de «croire». Ainsi, dans le croire se mêlent non seulement «‘les objets idéels de la conviction (les croyances proprement dites’)» mais aussi «‘toutes les pratiques, les langages, les gestes, les automatismes spontanés dans lesquels les croyances sont inscrites.’» Dans cette logique, la notion de croire est à saisir comme de «‘la croyance en actes’», de «‘la croyance vécue’» (1993 : p. 105). Mais aussi de la croyance exprimée, partagée, participant d’un processus de reconnaissance mutuelle. Le pratiquant en privilégiant cette attention à sa corporéité, à ses émotions, en en partageant collectivement la mise en récit peut ainsi nourrir et renouveler sans cesse cette certitude d’une appartenance à un enseignement validé par une tradition. Il n’est plus seul aux prises avec sa propre expérience. Chaque élève qu’il côtoie le renvoie en permanence à son sentiment d’appartenance au groupe. L’autre, par sa présence, lui rappelle qu’il n’est pas l’unique destinataire de l’enseignement transmis et qu’une pratique personnelle ne pourra acquérir du sens que dans un partage avec la communauté. Et, de la même manière, si les conditions de ce partage sont requises, l’autre apparaît comme cette assurance d’une appartenance à ce qui précède, à cette lignée qui a «toujours été là ». Tout autant extériorisant qu’assimilant, intégrant que distanciant, le groupe produit de l’écart afin de mieux réaffirmer par là une nécessité de proximité. Chacun possède son «niveau » de pratique, de conscience etc..., chacun a son «vécu» qui lui est propre et qui le distingue de son voisin, mais chacun participe d’une même découverte de lui-même et des autres. De même, le guru se tient là-bas, au loin, dans un espace géographiquement coupé de ce qui se passe ici et maintenant. Pourtant, sa propre énergétique, son effectivité embrassent les frontières, se jouent des distances en permettant à chacune des individualités d’entrer en lien les unes avec les autres. Par le groupe, dans le groupe, le guru se présentifie, il advient tout en faisant advenir la communauté qui le reconnaît. De même, le sujet, par le groupe, dans le groupe, accède à la reconnaissance de ce qui pourtant le singularise, fait de lui un membre de la lignée. L’opposition entre proche et lointain s’amenuise, la distinction entre individualité et collectivité s’estompe alors que la présence-absence du guru, au contraire, s’affirme du fait que, collectivement, un croire, une croyance effective, incarnée et partagée prend sens.