4. 6 Les limites du bricolage

Ainsi, si nous suivons les implications de ce recours à une définition de ce qui peut être pensé comme religieux dans les groupes et les pratiques qui nous intéressent, si nous reconnaissons la pertinence d’un usage que l’on pourrait qualifier d’herméneutique de notions telles que celle d’idéal-type ou de système afin d’organiser une situation empirique spécifique, il n’en reste pas moins que certaines caractéristiques conséquentes à la définition des NMR ou de la «Nébuleuse Mystique-Ésotérique» n’entrent pas totalement en résonance avec les associations que nous avons étudiées. Comme nous l’avons précisé, les formes du croire contemporain sont le plus souvent rattachées à l’idée de flottement, d’indécision. Dans ce que postulent les modèles des NMR ou de la nébuleuse, les groupes, les communautés, les individus feraient naviguer leur désir de religieux dans les remous d’une modernité à préfixes. Qu’elle soit «sur», «hyper» ou «post», elle serait le contexte inhérent à l’accueil de ces religiosités diffuses, imprécises, dissipées. Elle serait la toile de fond consusbantiellement liée à ce religieux mutant, indécis. Et en tant que contexte de production de croyances mouvantes, elle autoriserait tous les types de bricolage. L’adepte mystique-ésotérique s’inscrirait ainsi, parfois malgré lui, dans le prolongement d’une logique hétéroclite et au final profondément individualiste qui lui permettrait toutes les recompositions qu’il souhaite. Dans ce self-service de la croyance «à la carte», tout est à sa disposition pour composer son propre menu religieux : le taoïsme qu’il peut agrémenter d’un brin d’astrologie, le zen qu’il peut accommoder d’un soupçon de sophrologie, la tarologie qu’il peut assaisonner d’un zeste d’ésotérisme cabalistique... Bref, toutes les références sont mobilisables, interchangeables. Tels des éléments disparates, offerts à toutes les velléités de composition et de recomposition, elles pourraient s’agencer, s’assembler au gré des souhaits et désirs de chacun. De la même manière, les contenus de croyances importeraient peu. Ils seraient, comme les pratiques, des références mobiles, substituables à loisir. Tout est là, offert : le Cosmos, l’Énergie, l’Univers, le Soi, le Désir, Dieu, l’Harmonie, le Sens, la Résonance, la Vibration, le Qi, la Genèse, le Graal... Tout est accessible, permutable : l’acupuncture, la digipuncture, le yoga, le Tantrisme, la méditation, la psychanalyse reichienne, le Bouddhisme, l’Hindouisme, l’homéopathie, la Gestalt-thérapie... Tout se rejoint, se confond et se répond. Tout n’est plus que scintillements à la surface du même désir de sens de l’individu sur-, post-, ultra-, hyper-moderne. Ainsi, si l’on reprend Albert Piette, il est possible d’assimiler «ce qui est désigné par le terme « croyances « à des simples opinions émises dans des échanges verbaux spécifiques, en tout cas ‘analogues, même s’ils sont régis par des règles différentes, aux discours de physiciens dans un séminaire sur les théories de l’expansion de l’univers ou des supporters de football discutant de la prochaine victoire de leur équipe.’ ‘»’ (1999 : p. 20) Bref, ce qui est cru importe peu puisque ce cru-là est toujours ailleurs. Qu’il se perde dans les méandres d’une recomposition toujours relancée ou, qu’en s’enfonçant dans les tréfonds de l’intériorité subjective, il s’éloigne des situations concrètes du religieux au quotidien, il finit par être renvoyé à l’oubli de ce qui le rend justement difficilement saisissable. Or, si l’on s’attache aux groupes qui nous intéressent, le principe de l’énergie n’est pas convoqué à défaut d’autre chose afin de combler un déficit de références. Ce n’est pas l’Énergie comme cela aurait pu être le Cosmos, le Qi ou le Tao. De même, ce n’est pas le Yoga comme cela aurait pu être le Zen, le Reiki ou le Tarot. Même si certains liens se créent - en effet, parce que c’est le yoga alors c’est plus l’acupuncture que le stretching ; l’homéopathie que l’allopathie...-, il n’en reste pas moins que la prégnance de ce qui confère un sens aux pratiques et aux références qu’elles mobilisent a quelque chose d’irréductible. Pour ces associations, le bricolage n’a pas cours. Si une marge de liberté de l’individu est tolérée et reconnue, il ne peut, pour autant, s’extraire d’une exigence a minima qui conditionne son entrée ainsi que son maintien au sein de la lignée. De même, si la singularité de son individualité est partie-prenante de son inscription dans la pratique, elle devra s’accommoder de la présence des autres et trouver ainsi le sens de sa propre appartenance par la reconnaissance du groupe et de l’autorité de celui qui l’encadre et lui confère son authenticité. L’individu ne peut entrer et sortir de ces associations comme il le ferait dans un self-service spirituel car seule la pérennité de sa pratique permettra d’accréditer pour les autres, ainsi que pour lui-même, la validité de ce qui lui est enseigné et transmis.