2. 1. 3 Une harmonie sensible

Shakti et Shiva se retrouvent ainsi dans ce souci commun d’une parfaite maîtrise de la configuration de leurs espaces de pratique. Des lumières tamisées, jamais agressives ; l’usage de couleurs neutres, privilégiant le blanc et le beige ; les parfums relevés des encens et des fleurs qui nappent l’atmosphère ; le contact moelleux des moquettes auquel peut s’ajouter le craquement discret des planchers de bois de certaines pièces du centre de méditation de Shiva... Tout concourt à produire une sollicitation mesurée des sens. Rien ne fait violence dans ces environnements. L’ouïe, la vue, le toucher, l’odorat sont délicatement flattés afin de créer un sentiment permanent d’accueil et de sécurité. Le visiteur est invité à l’abandon par une prise en charge progressive et sereine de sa relation à ce qui l’entoure. De même, le passage obligé par ces lieux intermédiaires, ces «seuils matériels» dont parlait Arnold Van Gennep (1981), que sont les alcôves, les vestibules, les couloirs ou encore les vestiaires renforcent ce sentiment de progression au sein d’espaces devenant autant d’étapes nécessaires et préalables à tous contacts avec l’enseignement. Les empreintes du dehors, de la vie du dehors - vêtement, sacs, chaussures... -, certaines habitudes - la cigarette par exemple est proscrite - doivent s’estomper au profit de celles inhérentes au-dedans. Pour Shakti, après le vestibule, derrière une lourde tenture, l’entrée dans la salle de méditation est quasiment immédiate. Les chaussures doivent être laissées dehors et le passage par le vestiaire se fait au prix d’un détour qui nous conduit à frôler les limites de la surface de pratique proprement dite. Pour Shiva, l’entrée est plus progressive. Le passage par le vestiaire demeure la condition préliminaire à tout accès. Les différentes pièces qui précèdent la salle de méditation apparaissent comme autant de jalons qui préparent son abord. Sur le chemin qui l’y mène, l’élève peut ainsi prendre connaissance d’une multiplicité de notes, recommandations, conseils et informations qui parsèment les différentes tables disséminées sur son parcours. Le novice, quant à lui, pourra découvrir les nombreuses éditions et publications de l’association. Quant au regard des gurus, il est partout. Chaque mur devient le support de portraits permettant d’exposer le sourire de Nâyîkâ ou les yeux perçants de Mahat. L’une de ces affiches est à ce titre exemplaire. Elle est en noir et blanc, de large dimension. Le visage de Mahat y figure. Située en plein centre de la cloison, elle est la première chose que l’on remarque en entrant dans la pièce. Toute la force de l’image paraît se résoudre dans l’intensité des yeux du guru. Quelle que soit la place occupée, ils paraissent suivre le moindre de nos déplacements et, irrésistiblement, attirent les regards qui se hasardent dans leur direction. À l’inverse, l’association Shakti insiste de façon moins ostentatoire sur la présence iconographique de Sahaja. Certes, il demeure présent, avec son épouse et tous les autres membres de la lignée mais près du lieu où siège Marc, le maître. Dans la salle, sur les murs, quelques affiches de divinités du panthéon hindouiste rappellent le lien symbolique à l’Inde. Contrairement à Shakti, ce même lien est sans cesse réaffirmé par l’association Shiva. Outre les photos, les objets - la paire de chaussure, le fauteuil renvoyant à son tour à une image de Mahat, les statuettes... - sont aussi là pour rappeler la présence continue des gurus. Traces tangibles, réalités inertes de la lignée, ils sont enveloppés d’une dévotion totale. Ainsi, les bouquets de fleurs, que l’on retrouve similairement chez Shakti, régulièrement renouvelés, témoignent de ce dévouement sans cesse reconduit.

Dans ce prolongement, les logiques de déplacement et d’occupation de ces lieux apparaissent sensiblement différentes. Lorsque l’on arrive pour la première fois au «Centre de méditation Shiva», l’accueil par les anciens élèves est immédiat. Vous êtes accompagnés au vestiaire puis dans la première pièce où les différentes productions de l’association vous sont présentées. Derrière chaque table, un membre du groupe vous explicite le contenu de tel ou tel livre, les qualités de tel ou tel encens ou essence. Régulièrement, on s’enquiert de vos impressions. Un thé vous est offert. Les voix sont basses, parfois chuchotées. La plupart des élèves confirmés sont rassemblés en groupes épars dans la pièce la plus proche de la salle de méditation. Les autres vaquent ou restent plongés dans la lecture d’un livre ou d’un document présentant l’enseignement. Ce n’est qu’après la sonnerie d’une cloche que l’ensemble des personnes converge vers la salle de méditation. Dans la salle de Shakti, l’ambiance diverge légèrement même si des constantes persistent. La même ambiance feutrée, l’intensité des voix contrôlée, peu d’emportements ou de comportements démonstratifs. Ici, une fois rentré, chaque élève se dirige vers le vestiaire se change et rejoint la salle de méditation. Certaines personnes y sont déjà installées, assises sur les genoux, les yeux mi-clos, dans une attitude de concentration. Certains se saluent, échangent quelques mots dans le vestiaire ou la salle. Chacun semble, progressivement, dès le seuil franchi, entrer dans une exploration de son intériorité qui donne l’impression au visiteur d’une certaine absence de ses interlocuteurs. La séance ne commence réellement que lors de l’arrivée de Marc. Le groupe se rassemble, les retardataires se font parfois réprimandés. Lorsque Marc prend possession des lieux, quelque chose change dans l’attitude de chacun, et cette constellation d’individualités paraît s’organiser, se systématiser autour de sa présence. Au contraire, pour Shiva, il est difficile de discerner, chez les différents protagonistes, une autorité plus affirmée. Seuls certains élèves semblent par leur comportement, leurs manières d’aborder les novices détenir une place plus affirmée au sein du groupe. Les individus circulent, se croisent... Chez Shakti, il ne fait aucun doute que l’espace tout entier se reconfigure à partir de la territorialité que dessine Marc. Ainsi, prend-il place devant, ceint par les images de la lignée ; les élèves, quant à eux, s’éparpillent à la surface de la salle, tous tournés en un même mouvement vers cet endroit central de la pièce où se condense toute l’autorité de l’enseignement.