2. 4 La dévotion comme lien au guru : l’association Shiva

Contrairement à l’association Shakti, l’élève ne doit pas, dans le groupe Ganesh, se plier nécessairement à une pratique posturale intensive. Il peut, s’il le désire, suivre quelques cours complémentaires de postures mais celles-ci ne sont pas essentielles à la transmission de l’enseignement. À l’inverse, pour Marc de Shakti, comme nous avons pu le constater, cette condition est indiscutable. Comme il n’a de cesse de le préciser, le corps de l’élève doit être continuellement «nettoyé» afin de permettre le déploiement du yoga qu’il enseigne. Ainsi, quotidiennement, de façon décroissante au fil de sa progression, le pratiquant se soumet à de longues séries d’exercices physiquement exigeants. Le but reste le même : préparer le corps afin de le rendre encore plus apte à maîtriser les flux d’énergies qui le traversent. Pour l’élève, il s’agira donc d’éprouver les effets de cette discipline en se soumettant à une tension continuelle faite de torsions, d’étirements, de contorsions, de contractions et de compressions... Pour Shiva et ses représentants, la clé de cette maîtrise se situe ailleurs, dans un champ de pratiques pas si éloigné d’une certaine forme de méditation, sur laquelle nous reviendrons plus loin. Si pour Mahat, ce qu’il nomme la «purification de l’être» reste l’enjeu majeur de la tradition yogique qu’il transmet, cette purification ne réside pas simplement dans l’exercice rigoureux et répété des postures. Certes, elles restent, selon lui, une donnée fondamentale de ce processus qu’il définit aussi dans certains de ses ouvrages comme un «moyen de salut» capable de faire «reculer la mort mais une mort spirituelle, non pas tant physique». L’élève devra s’efforcer à tous prix, quels que soient les procédés qu’il met en oeuvre, d’affiner ses perceptions afin d’explorer les moindres replis d’un corps énergétique, corps avec lequel il est censé fusionner. Cependant, cette exploration, aussi longue et complexe qu’elle puisse être, ne pourra s’effectuer qu’à l’unique condition d’une reconnaissance pleine et totale de l’autorité du guru. C’est dans le prolongement de cette seule acceptation absolue et inconditionnée, qu’il pourra ainsi acquérir la certitude de l’efficacité de l’enseignement. Dès lors, tout devient le Guru. Le monde, dans son ensemble, se mue en Guru. Toutes les situations dans lesquelles le pratiquant de Shiva sera plongé seront interprétées comme le fruit de l’unique volonté et de la puissance souveraine du Guru, quelles que soient ses apparences contextuelles et historiques - Mahat, Nâyîkâ, Vidyâ... -. Dans cet univers à la fois reflet et création du Guru, ne règnent qu’harmonie et évidence, révélation et certitude. Tout s’agence, les contraires se résolvent, le cosmos s’organise selon un plan sans aspérités, ni contraintes. En conséquence, si l’élève réussit à reconnaître l’efficience de cette figure, la force de l’enseignement s’offrira à lui sans contraintes. En acceptant de voir le Guru partout, dans les moindres ondoiements ou reflets de ce qui l’entoure, le pratiquant peut alors accéder à la possibilité d’un accomplissement parfait de son être. Ainsi, il pourra, s’il le souhaite, pratiquer des exercices posturaux. Si sa dévotion est indiscutable, le processus opérera «naturellement» - Mahat utilise ce terme dans un de ses ouvrages - sans effort, ni contrainte. Comme le précise une élève dans une revue de l’association : «je ‘laisse mon corps prendre la position [...]. Je me sens comme guidée par l’énergie intérieure vers la posture parfaite pour moi.’ ‘»’ Ici, point de tensions telles qu’elles pouvaient être perçues lors des cours de Marc de Shakti, mais l’immédiateté d’un accomplissement s’effectuant aisément, sans obstruction. On «laisse» le corps accomplir son oeuvre, dans le prolongement de cette énergie canalisée par le Guru. De la même manière, l’élève devra adopter ce que Mahat définit comme «une vie pure et austère» afin de devenir lui-même un être «sain, pur et austère». Mahat écrit : «D’une conduite irréprochable et de l’aptitude à voir l’innocence, même dans le vice, découle un grand bonheur. C’est l’attitude que nous choisissons qui témoigne de nos qualités et de notre valeur propre.» (citation extraite de l’un des ouvrages de Mahat) Mais cette «attitude» de ferveur et de confiance, ne pourra devenir effective qu’à la condition de cette vénération sans cesse reconduite de l’aura rayonnante du Guru. Comme l’écrit encore Mahat, «‘il vous faut pour cela la grâce du Guru. Nul ne peut atteindre le secret de la fusion naturelle et spontanée dans le Soi, dans la réalité intérieure, sans la grâce d’un Être éveillé.’ ‘»’ Dès lors, le sujet et le monde font sens, se stabilisent en une combinaison à la logique inflexible. Le sujet en reconnaissant l’énergie qui le traverse, reconnaît le Guru, puisque le Guru est l’énergie. De la même manière, en reconnaissant le Guru, il reconnaît le monde puisque le Guru est le monde. Enfin, en reconnaissant l’extériorité absolue du Guru, il se reconnaît lui-même, puisqu’en cette extériorité-là se résorbent, «dans la fusion naturelle», toutes les intériorités. Tout converge ainsi vers la puissance du Guru. Ne plus l’éprouver ou, du moins, cesser d’assumer la démarche volontaire d’en faire l’épreuve, conduit à la rupture inéluctable de cette fusion. Le monde cesse ainsi de faire sens. Il s’éloigne à mesure que s’estompe la figure de celui qui en est tout autant la source absolue que la clé indubitable de compréhension.