2. 7. 1 ÊEtre témoin de ce qui arrive : l’association Shiva

À l’instar de la pratique posturale ou de la méditation, le passage initiatique, tel qu’il est présenté par les représentants de Shiva, s’effectue de façon involontaire. Décrite par Mahat comme un don [ «a gift» ], elle surgit telle une révélation spontanée et immédiate. Ce n’est pas réellement le pratiquant qui la choisit mais bien elle qui semble prendre possession - Mahat dit «attraper» - de ceux qu’elle juge prêts. Selon l’enseignement Shiva, ce n’est qu’une fois initié que le pratiquant pourra accéder à la totalité des connaissances et des bienfaits que lui offre l’éveil de cette énergie interne - la kundalini -, prolongement vibratoire de celle qui parcourt la totalité cosmique. Cet éveil ne peut s’effectuer que par la volonté du guru. Lui seul détient le pouvoir absolu de faire accéder son devotee à un stade supérieur de conscience et de pratique. Comme l’explique Mahat dans l’un de ses ouvrages, ‘«’ ‘ le Guru ne se contente pas d’éveiller la Kundalini : il en contrôle et en régularise le déploiement ; il aide le disciple à éliminer tous les blocages et tous les obstacles qui se présentent, jusqu’à la réalisation ultime du Soi. Le Guru ne faisant qu’un avec cette énergie intérieure, il peut accomplir cela à un niveau subtil, en agissant de l’intérieur’.» Ainsi, le processus même de l’initiation tendrait à réaffirmer cette porosité des frontières entre l’intériorité du sujet et cette altérité absolue que serait le Guru. Comme le précise Mahat, cette énergie «‘pénètre tout ce qu’Elle crée, êtres et objets sans jamais Se départir de Son identité ni de Sa pureté immaculée.’» Le Guru, en possédant la même nature que l’énergie qu’il porte en lui et qu’il transmet, détiendrait cette étrange capacité à brouiller les frontières, à se jouer des démarcations spatiales et corporelles. Cette transmission peut ainsi s’effectuer par le biais de différents médiums. Un simple regard, l’audition d’une phrase, la lecture d’un écrit, un geste du Guru «‘même à des milliers de kilomètres de distance’» peut suffire à la révélation initiatique de cette expérience énergétique. Pour Mahat, ce fût un seul mot prononcé par son propre guru, Vidyâ, qui le fît passer du stade de devotee à celui d’être éveillé : «‘D’un seul mot, ce grand Être m’a totalement transformé. Le mantra que j’ai reçu au bout de tant d’années de sadhana’ 52 ‘ s’est propagé dans tout mon corps, de la tête aux pieds, comme un feu de brousse attisé par le vent. J’ai ressenti à la fois une chaleur intense et la fraîcheur de la joie. Quelle puissance avait ce mot ! J’hésite presque à l’écrire. Il m’a révélé toute ce que j’avais en moi, dans le coeur et dans la tête... Ah quelle puissance dans ce mot ’!» Métamorphosé par cette révélation initiatique, au prix d’une longue attente et d’une pratique acharnée, Mahat cesse de contempler son guru. Désormais, il ne lui fait plus face mais s’abîme dans son être propre, se mêle à sa force spirituelle. Leurs natures s’échangent, leurs essences respectives fusionnent pour ne faire plus qu’une : «‘Maintenant je comprends complètement mon attachement. C’est son éclat dans la lumière de mes yeux. C’est sa parole dans le langage de ma langue. Par ma respiration, c’est lui qui entre et qui sort. C’est lui qui mange, boit, entend et me fait entendre. Le pouvoir de son mot imprègne chacune des cellules de mon sang. Les liquides de mon corps tout entier sont à lui. C’est pourquoi je suis plein de joie. Je comprends maintenant que ce que je croyais être moi était complètement irréel. J’avais fait une erreur et j’y étais piégé. La vérité est que Vidyâ lui-même était entré en moi par ce mot.’ ‘»’ Ainsi, ce mot concentre à lui seul toute la puissance de cette transmission. Par lui et en lui, Mahat découvre la manifestation de son nouveau statut spirituel. Il s’agit, dès lors, d’»observer en témoin» le processus qui le traverse. Comme l’indique Mahat, une fois éveillée, cette énergie circule en lui tout «‘en éliminant les fluides usés, régénérant l’ensemble du système nerveux et rendant au corps vitalité et jeunesse.’ ‘»’ Dès lors, chaque devotee se doit d’éprouver et de reconnaître ce processus actif et indépendant que libérerait l’expérience initiatique : ‘«’ ‘n’essayez pas de forcer les choses ou de faire appel à votre propre volonté. Laissez l’énergie faire tout ce qu’elle veut, laissez-la suivre sa propre inspiration. Soyez simplement le témoin de ce merveilleux processus interne, observez son déroulement’.» C’est ainsi un monde de félicité qui va s’ouvrir sans peine à celui qui demeurera dans la contemplation de cette opération magique : «‘Grâce au pouvoir de cette énergie qui nous habite, il est possible de réaliser tout ce que l’on veut, de voir tout ce que l’on souhaite voir et d’accéder à n’importe quelle position sociale si élevée soit-elle’.» Mahat ajoute encore : «Si ‘vous possédez une foi solide, l’énergie vous guidera où que vous vous trouviez : Elle prendra la forme du Guru ou Elle vous donnera des messages à l’intérieur. Vous n’aurez absolument aucune difficulté. En fait, l’énergie prendra tout en charge où que vous soyez.’ ‘»’ Toute la quête intérieure du devotee initié devra alors se focaliser sur l’expérience continue des bienfaits que susciterait l’éveil de cette énergie miraculeuse, éveil qui, cependant, ne peut s’effectuer sans l’intervention du seul garant de la tradition de Shiva, à savoir le guru. Ainsi, pour Mahat, sans l’initiation «‘toutes les actions et les rituels sont stériles’». De même, sans l’initiation, il reste impossible, même pour un pratiquant dévoué, «d’atteindre la perfection spirituelle».

Désormais, c’est à Nâyîkâ que revient ce pouvoir d’initiation. Mais étant elle-même l’incarnation de la lignée de Shiva, sa figure se mêle à celles des gurus qui l’ont précédée et, dans le cas de Mahat, qui l’ont formée et initiée. Un swami53 de Shiva, témoin d’une initiation, explique : «Nâyîkâ devenait Mahat, tout comme Mahat se transformait en son propre Guru. De cette manière, c’est toute la lignée de Shiva qui agit à travers le Guru au moment de l’initiation.» À elle seule, la présence vivante de Nâyîkâ porterait donc la totalité de l’enseignement qui la précède. Jonction hybride située à l’interstice de temporalités disjointes, sa nature d’être humain à l’existence tangible ne prendrait sens qu’au regard de cette continuité qui fait d’elle la synthèse vivante et actuelle de ce qui la porte et la légitime. Par conséquent, lorsque Nâyîkâ donne l’initiation, elle présentifie, dans le prolongement de ce geste, les figures spirituelles de ceux qui l’ont reconnue en tant que continuité de la tradition. Comme nous l’avons précisé, certains pratiquants de Shiva peuvent expérimenter une première expérience initiatique sans que ceux-ci ne la décryptent et ne la reconnaissent en tant que telle. Tous les supports matériels portant la trace d’un / des guru(s) ou de la lignée peuvent alors devenir vecteur d’initiation. Pour Thomas, c’est la contemplation d’une photo de Mahat qui fût le révélateur de son expérience initiatique : «Soudain, l’énergie s’est mise à parcourir chaque cellule de mon corps. À un certain moment, étendue sur le sol, je n’étais plus qu’une masse de lumière et d’énergie scintillante qui avait la forme d’un corps humain.» Dans le témoignage suivant, extrait d’une revue américaine de l’association, une vision devient la preuve indubitable d’une rencontre mystique. Joseph : «Je me souviens d’une fois où j’organisais un programme dans une prison de Floride. Nous étions assis sur le sol en ciment avec un groupe de prisonniers, et nous leur parlions du mantra. Ensuite nous les avons fait méditer, puis partager leurs expériences. Je n’oublierai jamais le récit d’un petit homme qui avait la mine la plus sauvage que j’aie jamais vue. À quarante ans, il en avait passé vingt-cinq en prison. Ses yeux louchaient complètement - l’un regardait à droite et l’autre à gauche, et il était difficile de lui parler ou de le suivre. Au sortir de la méditation, il était très perturbé. Il déclara : « Les mecs, ça m’a drôlement secoué. « Nous l’avons interrogé et il a poursuivi : « Eh bien j’ai fermé les yeux, j’ai répété les mots que vous m’avez dits, et tout d’un coup un grand et gros type noir a commencé à venir vers moi. Il portait seulement un petit slip, ses doigts étaient écartés comme ça, et sa tête était penchée sur le côté. « Mes cheveux se dressèrent sur ma tête. Cet homme donnait l’exacte description du maître de Mahat, Vidyâ, au détail près. Et ce prisonnier offrait le spectacle le plus invraisemblable que j’aie jamais vu. Je me suis dit : « Si Dieu se trouve dans ce personnage, Dieu se cache bien ! « Et c’était pourtant ce même individu qui avait reçu le plus grand de tous les dons. Vidyâ lui-même était entré dans sa vie.» Une entrée que, par ailleurs, seul Joseph fût en mesure de décrypter. Là encore, la rencontre s’opère, en accord avec cet ordre mystérieux et insondable. Ce prisonnier se voit frappé par une révélation qu’il ne peut comprendre et qui, sans qu’il le sache, est en train de bousculer radicalement son existence. Ainsi, cet événement incongru devient la preuve de l’indiscutable force spirituelle de l’enseignement Shiva, une force qui ne connaît aucune limite de temps ou d’espaces, qui ne se soumet à aucun préjugé... À l’image du Guru, elle est partout, enveloppant chaque être de son intensité énergétique. Elle peut surgir alors à chaque instant, y compris des tréfonds de ce singulier personnage «à la mine sauvage».

Françoise, de son côté, nous explique :

  • - » Je sais que j’ai eu un rêve... J’étais en terminale en 71, on faisait des explications de rêves en étudiant Freud... On parlait des rêves avec notre prof de philo, on en avait fait plusieurs séances, j’étais en terminale, et un des soirs, je rêve que j’étais ... À côté de moi se tenait un ours, debout et puis là, une sorte de ring. En contrebas, il y avait un homme, un homme qui était homme jusqu’à la taille et qui était pour le reste de son corps un gros boa. Bon maintenant que je connais les symboles, je pense qu’il se composait de trois anneaux, à peu près. Je me rappelle que ce rêve m’avait frappé et que j’en avais parlé au prof de philo et il m’avait dit : « Je peux pas vous aider à interpréter parce que je connais pas assez, alors je peux pas vous dire. « Alors j’en avais conclu, bon à l’époque j’avais un copain qui était un peu ours, je me disais : « Bon, ben... c’était un clin d’oeil pour mon petit copain qui était un peu ours et puis le gars qui était là assis comme ça avec son cobra, ça c’était mon envie d’aller vers d’autres, de l’acte sexuel « Je l’avais interprété comme ça. Ce rêve m’est toujours resté quand même après, si tu veux. Il m’avait marquée. Et puis c’est l’année dernière, j’ai su que Mahat était venu pour la première fois à Lyon en 71, à cette époque-là et il était au sud de Lyon. Moi à cette époque j’habitais aussi le sud de Lyon et il émanait tellement de vibrations que je veux dire... C’est ce que l’on appelle un maître réalisé donc... (silence) Il était donc là à Lyon, moi à l’époque j’étais pas loin et j’avais fait ce rêve, et donc j’ai compris après coup. En effet, plus tard, quelques années après, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a fait découvrir l’enseignement Shiva. Et cette personne s’appelait Brun... Comme l’ours ! L’ours dont j’avais rêvé ! »

Dès lors, pour Françoise, la révélation ne fait aucun doute. Ce rêve l’avait, déjà, selon elle, confronté à la certitude de son engagement au sein de Shiva. Il avait déjà été une rencontre implicite avec ce qui allait devenir sa «voie » . Le symbolisme freudien trop évident est supplanté par un nouveau décryptage qui indique, a posteriori, que tous les signes précurseurs de sa rencontre avec Shiva étaient réunis. Ainsi, cet ours brun - Brun, devrions-nous dire - n’était ou plutôt ne pouvait être qu’une référence à ce disciple qu’elle allait, quelques années plus tard, rencontrer. De même, ce serpent ne pouvait se résumer à un symbole inconscient purement libidinal. Comme le précise Françoise, ce boa était constitué de trois anneaux. Or, la symbolique hindouiste décrit la kundalini comme un serpent subdivisé en trois anneaux égaux Dès lors, les signes s’agencent de manière indiscutable : l’ours Brun, le serpent, l’année : 1971, la visite de Mahat à proximité de chez elle... La totalité des éléments se combine en un ensemble homogène d’indices convergeant tous vers le même dénouement : la certitude que cette rencontre avec Shiva ressortait d’une évidence incontestable. Mais ce rêve prémonitoire ne fût pas la seule indication de ce qui devait advenir :

  • - » Je veux dire... Il faut faire attention à qui tu dis et à qui tu fais des trucs parce que c’est vraiment important. Moi j’ai vécu des expériences à mon avis c’était l’initiation que Mahat a dû me donner. Il était encore vivant et moi je ne le connaissais pas et il me l’a donné parce que... Mais à l’époque, je ne savais pas ce que c’était et je me suis fait des idées sur ce que c’était et je l’ai vécu très très mal. Et maintenant je peux le comprendre, parce que j’avais l’impression qu’à chaque fois que j’allais m’endormir quelqu’un me donnait des coups de pieds dans la moelle épinière à vif, alors chaque fois que je m’endormais je faisais de grands sauts et je n’arrivais pas à dormir et j’étais complètement KO. Mais bon j’allais travailler quand même, j’étais KO, KO... Et puis après en rencontrant le yoga de Shiva, j’ai compris le sens de cette expérience-là. Ce sont des purifications qui se passent à des niveaux très différents et que l’on ressent au niveau physique, mais quand on est pas au courant... Les toubibs occidentaux ne comprennent pas. Ils ne savent ce pas que cela peut être, ils sont incapables de le comprendre. Moi je l’ai vécu, ils pensaient que c’était une hypoglycémie, mais aucun n’a compris et quand j’ai rejoint l’enseignement de Shiva, j’ai compris que c’étaient des purifications dues certainement au fait que j’avais reçu l’initiation et que l’énergie, elle était en train de faire un nettoyage. Vraiment un grand auto-nettoyage ! (rires) Et puis il n’y a pas un coin qui ne soit resté dans l’ombre. C’est vraiment l’impression que cela fait et une fois que tu l’as reçu, je veux dire qu’il n’y a rien qui soit dans l’ombre, tout est bien fait pour que tu en prennes conscience. Moi pendant des années, je pense que j’ai fait ce travail sans savoir que je le faisais... »

Le processus énergétique aurait alors commencé son action, son «travail» sur le corps de Françoise bien avant que celle-ci ne suive effectivement l’enseignement de Shiva. Ici, encore, elle n’émet aucune réserve quant à la signification de ces douleurs qui lui ont parcouru le dos. Elles sont autant de signes révélant la présence concrète du Guru et de son action. Incapable d’en saisir la portée exacte, elle se serait contentée d’en subir les conséquences jusqu’à ce que son entrée chez Shiva lui donne les clés des raisons de ces expériences. L’explication a posteriori ne fait aucun doute. L’énergie du Guru l’avait déjà saisie la menant à faire ses premiers pas sur le chemin de l’initiation.

Les témoignages d’expériences liminaires telles que celles que nous venons de décrire sont légions au sein de Shiva, d’autant que les supports susceptibles d’en permettre l’effectuation sont eux aussi innombrables. Ainsi, un simple regard jeté sur un poster de Nâyîkâ ou de Mahat peut causer cette première entrée au sein du processus initiatique ou, du moins, être interprété, rétrospectivement, comme la preuve incontestable de cette entrée. Pourtant, cette initiation spontanée ne suffit pas. Elle doit être impérativement complétée par une rencontre avec le guru qui, par le rite approprié, la validera à son tour. Cette initiation conclusive se déroule en présence de Nâyîkâ, lors de ces séances collectives nommées «Intensives». Les «Intensives» se déroulent, généralement, dans les différents ashrams de Shiva. Une grande partie ont cependant lieu à New-York. Ainsi, afin de subir cette initiation ultime, chaque pratiquant doit aller aux États-Unis effectuer un pèlerinage. S’il est dans l’impossibilité de s’y rendre, il pourra assister à cette bénédiction en direct que Nâyîkâ effectue une fois par an, par communication satellitaire et téléphonique, pour tous les pays où est implanté l’enseignement de Shiva. Lors de cette cérémonie live, réunissant en un même instant de communion simultanée tous les devotees de la planète, l’initiation peut ainsi opérer. Cependant, nombre d’écrits et de témoignages précisent que la rencontre physique avec le guru reste le moyen initiatique le plus efficient. Traditionnellement, l’éveil est transmis par le toucher. Mais depuis quelques années, face au nombre croissant de pratiquants, Nâyîkâ privilégie un mode opératoire plus distancié. Assise, au bout de l’immense salle aux colonnades blanches de l’ashram, elle regarde défiler la longue cohorte des novices. Elle leur fait un signe ou les frappe d’un coup de plumeau en plumes de paon. Parfois, un large geste en direction de l’assemblée suffit pour prodiguer au public les bienfaits de son éveil.

À l’instar des expériences de méditation, l’épreuve de l’initiation peut conduire le pratiquant de Shiva à explorer les méandres d’un monde fantastique fait d’images et de sensations extraordinaires. Bill (ce témoignage est extrait de la revue américaine de l’association) : «J’ai dû suivre vingt-quatre ou vingt-cinq Intensives avec Mahat, et chaque fois qu’il donnait l’initiation, j’éprouvais une sensation de brûlure dans l’ajna chakra, l’espace situé entre les sourcils - à vrai dire, il s’embrasait comme un chalumeau. Mahat dit un jour : « Le travail de l’énergie consiste à consumer les impuretés de l’esprit. « Mahat n’a eu de cesse de me consumer pendant des années - et c’était intense ! Je me souviens d’une fois, au début ; c’était le plus puissant de tous les chalumeaux - ça brûlait tout de haut en bas - je dégoulinais de sueur et mes yeux ruisselaient - je savais que cette fois-ci, c’était la bonne, j’allais d’une seconde à l’autre flamber dans une combustion spontanée. J’ai pensé : « Quelles saletés je vais faire sur la moquette ! « Me vint alors une prière profonde et angoissée : « Mahat aide-moi, sors moi de là ! C’est trop, c’est insupportable ! « J’ouvris involontairement les yeux et je vis Mahat qui me regardait. Un liquide glacé s’écoula alors à travers ma tête... et je plongeai dans l’extase.» Pour un autre élève, l’expérience de l’initiation est comparée à la sensation d’»un puissant flux d’énergie qui jaillit de la batterie universelle pour passer dans notre démarreur.» Ainsi, à côté de ces comparaisons calorifiques et mécaniques, d’autres initiés font part de visions de couleurs indicibles, d’états de conscience à l’intensité indescriptible. Françoise raconte :

  • - » Nâyîkâ m’a donné l’initiation par le toucher... Elle m’a permis de voir la lumière noire, la lumière noire totale puisqu’à l’intérieur tout était noir, un noir total, et puis après tout est devenu bleu, mais d’un bleu qui n’existe pas sur terre, avec nos yeux physiques, on ne peut pas le voir. On ne peut que le voir de l’intérieur quand le guru nous permet de le voir ou peut-être quand on pratique beaucoup la méditation. Ça faisait comme un léger scintillement... J’ai lu que pour les bouddhistes tibétains, la description de cette lumière bleue est décrite comme des cercles de turquoise imbriqués les uns dans les autres, c’était d’une beauté mais je n’arrive pas à mettre en mots, c’est une lumière bleue qui vit, qui a des teintes de turquoise, et c’est sans doute pour cela que l’on voit ressortir les turquoises dans toutes les grandes traditions : Turquie, Égypte, Inde... On voit des turquoises de partout et ça rappelle quand même pas mal cette lumière bleue mais en un peu plus soutenu, celle que j’ai vue moi, un bleu un peu plus foncé, mais un bleu turquoise qui vit, qui vibre, c’était d’une beauté totale, je ne voyais que cela, cette lumière bleue ! Ah ! Une merveille... »

Nous retrouvons, au travers du témoignage de Françoise, une thématique symbolique proche de celle énoncée tout au long des écrits de Mahat. Chaque couleur mobilisée s’inscrit dans le prolongement des descriptions initiatiques du guru. Le noir renvoyant au monde du sommeil, donc au rêve, rêve qui, nous l’avons vu, tient une place centrale dans le processus initiatique de Françoise. Puis, le bleu... Le bleu absolu de l’accomplissement, le bleu révélateur de l’immersion dans la conscience transcendantale, le bleu de la sagesse, preuve indubitable pour celui qui la voit, de la réalisation effective de sa quête spirituelle. Pour Françoise, ce bleu difficilement descriptible, «un peu plus foncé », proche d’un «turquoise » qui «vit», «vibre», manifeste sa mise en relation avec une totalité qui déborde les cadres circonstanciés de l’initiation. La Turquie, l’Égypte, l’Inde, le Tibet..., «toutes les grandes traditions» sont alors convoquées pour se résorber dans cette vision qui, à elle seul, dévoile les confins d’un univers mystique sans limites. D’autres pratiquants de Shiva, interrogés au sujet de leurs expériences de méditation ont, cependant, nuancé cet émerveillement que l’on retrouve dans le discours de Françoise ainsi que dans les récits retranscrits dans les revues de l’association.

Initié par Mahat, Jean nous explique :

  • - » Eh bien, disons que l’éveil... C’est vaste... Ça met constamment en mouvement une énergie aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur... À l’intérieur, je sais qu’en fait ce que j’ai découvert, c’est que j’avais une immense paix à l’intérieur de moi, et c’est grâce à cela, à l’éveil de cette énergie que j’ai pu... Qu’il y avait non seulement de la paix mais aussi de la lumière, des couleurs, il y a des tas de choses qui sont difficiles à... Mais bon surtout de la paix. Je sais que moi surtout j’ai ressenti beaucoup de paix, oui beaucoup de paix. Alors forcément lorsque l’on a conscience de la paix que l’on a à l’intérieur de soi, on découvre tout notre être en définitive, tout ce qui m’avait fait avant et la conscience que je vais en avoir. Ça m’a expliqué, par exemple, les peurs que je pouvais avoir en face des gens, ou les peurs que je pouvais avoir dans mon travail par exemple, des choses qui ont beaucoup diminué, en partie quoi... »

Nicole, elle aussi initiée par Mahat, confirme :

  • - » Oui pour moi aussi, c’est l’initiation, tout de suite après je me suis sentie très bien, très en paix avec moi même et je ne peux pas dire que j’ai eu des expériences de couleurs, de lumière mais c’est plutôt un effet d’être bien avec moi-même, de ne plus avoir peur des autres, de se sentir bien... Oui c’est beaucoup plus ça. »

Ici, le flamboiement des images mobilisées laisse place à une description plus dépouillée. Jean reconnaît la vision de couleurs, de lumières, de «choses» qu’il a, lui aussi, du mal à mettre en mots. Pourtant, au final, il tend, comme Nicole, à ne mettre l’accent que sur ce sentiment de félicité intérieure qui a succédé à son initiation. Un sentiment de «paix» rassurant et apaisant qui va progressivement modifier sa relation au monde. Comme le précise Jean, «l’éveil va dépendre de la personnalité de chacun.» Ainsi, l’initiation apparaît comme un processus idiosyncrasique à la surface duquel l’individu peut voir miroiter ses propres références et repères. L’expérience de l’initiation sera donc à son image ou à l’image de ce qu’il tente de trouver au sein de la pratique de Shiva. Monde de merveilles et d’enchantements, de révélations et de certitudes, de promesses et d’attentes, elle semble ouvrir un horizon d’évidences déjà connues du sujet. Le sentiment de vertige éprouvé face à l’étrangeté d’une odyssée extraordinaire s’estompe pour laisser place à ce que le pratiquant n’a eu de cesse d’anticiper. Les symboles de la méditation apparaîtraient alors comme autant de réponses à un questionnement latent, déjà secrètement formulé, muettement articulé.

Notes
52.

Mot sanscrit que l’on peut traduire par “voie spirituelle” ou “chemin conduisant à la réalisation de l’être”.

53.

Un swami peut être comparé à un moine. Dans la tradition hindouiste, il est celui qui choisit la voie du renoncement à ses attaches mondaines.