Introduction

I. Etat des lieux

Fille d’institutrice formée “ sur le tas ” par les suppléances et les remplacements, institutrice formée à l’école normale (formation professionnelle entre 1967 et 1969), j’ai toujours eu le sentiment de n’avoir pas été réellement préparée à mon métier, l’impression que l’enfant, l’élève dont on me parlait, ne correspondait pas réellement aux enfants que je rencontrais dans ma pratique. Le premier était, en quelque sorte, “ calibré ” on semblait connaître ses intérêts, ses difficultés, sa manière d’apprendre , tout était prévu et la préparation des leçons de la classe avait pour but, par un questionnement idoine, de lui permettre d’acquérir certaines notions bien précises, définies antérieurement. En outre, c’est le maître seul qui détenait les clés de la communication et de la connaissance, les propositions faites à l’enfant dans ce domaine consistant à écouter l’instituteur, à répondre à ses questions, éventuellement à questionner sur le thème choisi, mais nullement à proposer lui-même, à parler de ses intérêts. Il doit apprendre à écouter, mais est-il lui-même écouté dans ce qui lui tient à coeur ?

Or, les enfants auxquels je me confrontais quotidiennement avaient souvent peu de liens avec “ l’enfant ” défini par les cours de psycho-pédagogie. Ils n’arrivaient pas “ vierges ” à l’école, ils étaient porteurs d’histoires très diverses qui, avant même l’entrée à l’école, avaient connoté l’image qu’ils avaient d’eux-mêmes ainsi que leur vision de la vie intellectuelle, dans un sens ou dans l’autre. Certains, heureusement, avaient gardé la curiosité, le désir de connaître gratuitement et une certaine confiance dans leurs compétences. Pour d’autres, l’intérêt pour les idées n’était pas une valeur essentielle ; lui était préféré celui qui concernait les rapports économiques. De plus, si l’entourage familial avait déjà caractérisé l’enfant comme ayant peu de moyens intellectuels, il devenait très difficile à ce dernier de mobiliser ses capacités pour parvenir à un résultat que, même probant, ses proches seraient incapables de voir et d’apprécier.

Enfin, les valeurs reconnues au travail sont, elles aussi, évaluées très différemment. Souvent, l’idée courante reprenant la parole biblique : ‘“ Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ’” est prégnante, on insiste sur les côtés pénibles, difficiles, douloureux du travail, auquel la vie actuelle ajoute le manque d’intérêt. Les aspects “ création ”, “ recherche ” qui peuvent aussi le définir sont plus rarement évoqués mais, dans le même temps, le travail est aussi sur-valorisé : il détermine la reconnaissance de l’entourage. Dans les périodes de crise où monte le chômage, où les parents ont des difficultés à trouver du travail, les enfants perdent leurs repères et ne parviennent plus à investir l’Ecole.

Mon questionnement rejoint les préoccupations de l’institution. De plus en plus, on cherche à en améliorer la pratique. On continue à parfaire les techniques, les didactiques d’apprentissage, à disséquer de plus en plus finement les séquences, à mettre en place des formations de plus en plus techniques et hasard ? on trouve toujours en classe des élèves qui se pensent “ nuls ”, qui se trouvent constamment en échec (25% de ceux qui entrent en sixième ont de grosses difficultés pour lire, écrire, calculer à l’automne 1995, information parue en mai 1996 dans le journal Le monde) et qui rejettent plus ou moins violemment l’Ecole. Il y a, bien évidemment, de nombreuses raisons socio-économiques, familiales, culturelles, etc. qui sont analysées mais elles n’expliquent pas tout. On ne parle jamais de la relation entre le maître et l’élève et, surtout, de ce que le premier fait passer par ses attitudes, son regard, ses postures, ses silences, ses remarques, ses sourires, le ton sur lequel il s’exprime. On parle de l’agressivité des élèves, pas de celle des maîtres, des attitudes irrespectueuses des élèves, pas de celles, humiliantes, des maîtres. Ces écarts sont révélés de temps à autre dans des faits divers et font à ce moment-là scandale alors que l’on ne s’est aucunement préoccupé de leur prévention. Bien souvent, l’enseignant, s’il a une formation intellectuelle et même pédagogique de haut niveau, ne se connaît pas vraiment émotionnellement de l’ “ intérieur ” et manque de vigilance quant à son comportement. Quoi qu’il pense, il arrive plus ou moins fréquemment que son histoire personnelle entre en résonance et interfère avec celle des élèves dont il a la responsabilité.