II. Etat des recherches

Ce travail ne cherche pas à culpabiliser l’enseignant face à l’élève en échec mais, au contraire, il tente de repérer les conditions qui permettraient d’évaluer au mieux la situation afin de trouver la solution la plus appropriée en fonction de chacun. Or, les recherches concernant le maître et son affectivité dans la relation éducative, ne semblent pas être le domaine de prédilection des chercheurs en Sciences de l’Education si l’on parcourt le répertoire des Recherches en éducation et formation de 1986 à 1991, publié par le C.N.R.S. et l’Institut d’information scientifique et technique de l’I.N.R.P. en 1993, ou les Tables de la revue “ Les Sciences de l’Education. Pour l’ère nouvelle, 1967-1994 ”, établies par Henri Peyronnie et Pierre Lesage avec le concours de Philippe Wissoq (revue internationale éditée par le C.E.R.S.E.). Si l’émotionnel de l’enseignant apparaît dans ces articles ou ces thèses, ce n’est que de manière détournée : aucun titre ne l’évoque directement.

Sur les 250 thèses soutenues dans le département des Sciences de l’Education de l’Université Lyon 2 de 1968 à 1995, trois ou quatre évoquent directement l’affectivité de l’adulte formateur. La première est celle de Gilbert Vignal : L’affectivité en formation d’adultes (01.01.1991). Il constate, après inventaire de 56 ouvrages traitant de la formation et de l’éducation des adultes, que, sur 11 500 pages, seules 7 traitent de l’affectivité du formateur1 ... La seconde est celle de Christophe Marsollier : Histoire personnelle des instituteurs et attitudes à l’égard des représentations. Etude de représentations (Juin 1996). Dans son travail, l’auteur part concrètement d’entretiens sur la vie personnelle d’enseignants qui sont soit pionniers ou innovants en matière de pédagogie, soit, au contraire réfractaires ou très réfractaires, et recherche les liens possibles avec la représentation qu’ils ont de leur histoire. La thèse d’Albert Moyne : L’avenir du travail autonome, (13.11.1981) prend en compte l’affectivité de l’enseignant. Depuis, le travail de Simone Boy sur l’éducation salésienne actuelle (15.02.99) mentionne ce problème. Ceci révèle une réelle difficulté du monde enseignant à s’interroger sur ses attitudes, peut-être une peur de ce monde émotionnel qui l’anime mais qu’il connaît peu et, surtout, qu’il redoute.

Pour la première fois en France, en 1989, une université d’état, Lyon 2, organise un colloque sur une pédagogie centrée sur l’affectivité, élaborée par un religieux turinois du 19ème siècle, Don Bosco, fondateur de l’ordre des Salésiens2. Enfin, dans son ouvrage : Pédagogie générale 3, Gaston Mialaret évoque l’amour réciproque de l’éducateur et de l’éduqué sous forme de “ devoirs ” du maître à l’égard de l’élève, sans soulever les difficultés d’ordre émotionnel, affectif, relationnel, que rencontre l’enseignant dans la mise en oeuvre d’une relation devant permettre aux élèves de se réaliser à la fois intellectuellement, socialement, affectivement et relationnellement (une page et demie sur 598). L’affectivité de l’enseignant, ses difficultés dans ce domaine, semblent un sujet tabou.

Si l’on veut que l’école soit un milieu d’éducation et de culture, si l’on veut que les personnes qui la fréquentent pour se former s’y investissent, la perçoivent comme une institution à leur service pour leur permettre de grandir, il est important qu’elle soit à leur écoute, qu’elle fonde les apprentissages non seulement à partir des acquis desdites personnes mais aussi de leurs propres désirs de réalisation, de leurs intérêts, de leurs curiosités, de leurs questionnements. Ce n’est pas l’école qui sait, par avance, ce qui est bon pour une personne même un enfant de trois ou quatre ans c’est la personne elle-même. La mission de l’école est de l’aider à faire émerger ce qu’elle veut faire de sa vie et de mettre ses compétences à son service pour lui en permettre la réalisation. Point de vue idéaliste peut-être, mais tout autant réaliste et pragmatique. Tous les jours, les enseignants se confrontent au non-désir, au désintérêt de certains de leurs élèves, quel que soit le niveau de leurs études.

“ ‘On ne fait pas boire le cheval qui n’a pas soif’ 4” disait Freinet dans Les dits de Mathieu . Même si les chevaux ont disparu de nos paysages citadins et campagnards, sa réflexion est toujours d’actualité.

Notes
1.

VIGNAL (G.) : “ Les adultes de la formation ”, in Affectivité et formation d’adultes, Cahiers Binet-Simon n° 639-640, 1994, n°2/3, 240 pages, p. 51.

2.

AVANZINI (G.), Présentation : Education et pédagogie chez Don Bosco, Paris, éd. Fleurus, Pédagogie psychosociale, 1989, 347 pages.

3.

MIALARET (G.) : Pédagogie générale, Paris, P.U.F., 1991, 598 pages.

4.

FREINET (C.) : “ Les dits de Mathieu. Une pédagogie moderne du bon sens. ” pages 103 à 203, in Oeuvres pédagogiques, tome 2, Paris, Seuil, 1994, 729 pages. “ Les dits de Mathieu ” sont des chroniques régulières parues dans L’Educateur du 1er octobre 1946 au 15 mars 1954.