Si, pour former des enseignants à l’écoute de leurs enseignés, capables de s’adapter, d’inventer, de proposer, il me semble que la formation que j’ai reçue il y a trente ans n’était pas adaptée jamais on ne s’est préoccupé de savoir quelle institutrice je voulais et pouvais être, et probablement ne le savais-je pas moi-même, je ne suis pas réellement persuadée que l’actuelle formation en I.U.F.M. le soit davantage : la sélection est établie avant tout sur des compétences intellectuelles, aucunement sur des compétences relationnelles et d’écoute. L’ouvrage de Josette Lesieur et de Bernard Schoering Apprendre aux élèves, Apprendre des élèves, Quels espaces d’écoute ? 5 , celui de Claudine Blanchard-Laville, Les enseignants entre plaisir et souffrance 6, un troisième, écrit sous sa direction et celle de Suzanne Nadot, Malaise dans la formation des enseignants 7, enfin le numéro 75 de la revue Connexions, Clinique de la formation des enseignants, Pratiques et logiques institutionnelles 8, pour n’en citer que quelques une de récents, confirment des doutes que je ne suis pas seule à avoir. Je les partage avec d’autres enseignants, avec des psychothérapeutes, des médecins, qui voient passer chaque jour des enfants et des enseignants totalement angoissés par l’Ecole. Si mon questionnement est ancien, ma recherche est le fruit des encouragements d’Alain Mougniotte, mon directeur de recherches, lui aussi convaincu que la formation actuelle souffre d’une lacune importante concernant la connaissance de soi.
Alors, plutôt que de conclure péremptoirement, il me paraît préférable de réfléchir sur les enseignants actuels, ayant déjà de l’expérience, de les interroger sur leur vie professionnelle, sur leurs origines, de repérer leurs systèmes de valeurs, leurs conceptions de l’éducation, de voir les liens entre ces conceptions et leur éducation. Je limite ce travail sur les enseignants aux instituteurs9. J’utilise par commodité et convention le terme d’ “ instituteur ” qui désigne aussi, bien sûr, les professeurs d’école10. En effet, dans la mesure où ce sont eux qui reçoivent les enfants quittant pour la première fois la famille, la “ nounou ” ou la crèche et passant six heures par jour à l’Ecole, l’influence du maître ou de la maîtresse devant les introduire dans le monde intellectuel est déterminante.
Ma problématique se centre donc sur les instituteurs et leur histoire :
Quelle est la relation entre les représentations que les enseignants ont de leur enfance et de leur adolescence et leur comportement d’éducateur ? Y a -t-il corrélation entre le vécu de l’enfance et de l’adolescence et le comportement d’éducateur ?
Pour cela, je formule trois hypothèses
Les expériences et les événements positifs ouvrent la personne à la vie. Ils la rendent curieuse d’autrui et de connaissance (désirs de communiquer, de partager, de découvrir, de comprendre, de connaître ...)
Les expériences et les événements négatifs renferment la personne sur elle-même. Ils augmentent l’anxiété, l’angoisse, renforcent une image négative de soi, tendent à leur faire élaborer des systèmes de défense disproportionnés par rapport aux dangers réels encourus et limitent les relations interpersonnelles.
En revanche, ces mêmes expériences et événements négatifs s’ils ont été “ digérés ” (c’est-à-dire revisités, revécus émotionnellement, s’ils ont été source d’une meilleure compréhension, de croissance, bref si du positif s’y est introduit) suscitent une attention plus vive à autrui.
Partons d’un exemple pour expliciter les termes “ expérience positive ” et “ expérience négative ”. Considérons un jeune enfant avec son père (ou sa mère !).
Premier cas : le papa joue avec son enfant, l’encourage dans ses explorations du monde extérieur, l’incite à rencontrer les autres, enfants et adultes, se montre vulnérable en manifestant ses émotions et ses sentiments, créatif, curieux, amoureux de la vie. Il lui apprend aussi à repérer les situations dangereuses mais sans s’appesantir dessus. L’enfant, petit à petit, développe sa curiosité, son intérêt pour les personnes, les animaux, le monde vivant et inanimé, qui lui paraissent intéressants, sources de connaissance, de plaisir même si, pour cela, il doit différer certaines satisfactions, prendre certaines précautions, réaliser des apprentissages plus austères. La capacité paternelle à accepter sa propre fragilité, ses échecs, permettent à l’enfant d’intégrer les aspects passionnants de la vie, à évaluer correctement les situations, à mettre en place, dans certains cas, un système de défense ou de protection adapté aux circonstances, à s’autonomiser. Les événements, les expériences vécus auprès de ce père présent, mais pas “ fort ”, “ puissant ”, sont positifs car ils incitent à la découverte, à la communication, aux rencontres.
Deuxième cas. Il s’agit maintenant d’un autre papa, “ sérieux ”, un peu froid, bien que chaleureux dans certaines circonstances qui, par sa situation, en “ impose ” à son entourage. Il va apparaître comme un être “ fort ”, “ puissant ” auprès de qui rien de grave ne peut survenir. En revanche, comment apparaît le monde en l’absence paternelle ? Beaucoup plus dangereux, écrasant et angoissant alors que l’on est tout seul, beaucoup moins fort et moins intelligent que papa. Peut-être cet enfant-là, a-t-il reçu de nombreux cadeaux, a-t-il vu le moindre de ses désirs satisfait à peine exprimé mais, dans le même temps, sa curiosité est émoussée car il n’a fourni aucun effort pour la satisfaire, d’autant plus qu’il se sent incapable d’affronter seul l’extérieur. Apparemment la personne a vécu une enfance sans problème, dans un cocon, mais elle n’a pas appris à se faire confiance, à faire confiance à la vie, elle se sent démunie, angoissée face à un monde plein de risques.
L’expérience positive permet à l’enfant de découvrir que la vie est passionnante, qu’elle “ vaut le coup ” d’être vécue même si elle comporte parfois des moments difficiles, douloureux, compliqués. L’expérience négative, au contraire, fait surgir une vie pleine de dangers, devant laquelle il faut être fort alors que nous nous sentons faibles, fragiles, incapables de l’affronter seuls et cela nous angoisse terriblement.
LESIEUR (J.), SCHNOERING (B.) : Apprendre aux élèves, Apprendre des élèves, Quels espaces d’écoute ?, Strasbourg, Centre Régional de Documentation Pédagogique d’Alsace, 1999, 210 pages.
BLANCHARD-LAVILLE (C.) : Les enseignants entre plaisir et souffrance, Paris, PUF, 2001, 281 pages.
BLANCHARD-LAVILLE (C.), NADOT (S.) (sous la direction de) : Malaise dans la formation des enseignants, Paris, L’Harmattan, 2001, 275 pages.
Revue CONNEXIONS : Clinique de la formation des enseignants, Pratiques et logiques institu-tionnelles, Toulouse, Erès, 2001, 209 pages.
Il serait probablement intéressant d’effectuer ce même type de recherche avec les autres catégories d’enseignants s’adressant à des personnes plus âgées : collégiens, lycéens, étudiants, adultes en formation, de même qu’aux personnels des secteurs sociaux et de la santé ... de bien connaître leurs modes de formation initiale et continue afin de faire des comparaisons qui pourraient s’avérer riches d’informations ...
En réalité, au moment des entretiens, aucun n’est professeur d’école. Un d’entre eux, présentera et réussira le concours après.