Il y a plus de quarante ans déjà, Max Marchand25 s’interrogeait sur la relation éducative maître-élève, considérant que ces deux personnes forment un “ couple-éducatif ”. Il remarquait que ces couples sont plus ou moins bénéfiques à l’enfant selon le caractère, les qualités ou les défauts du maître, et établissait une typologie.
Les premiers sont les “ cas amorphes ”, où le maître n’existe que pour lui sans chercher à attirer l’enfant à lui. Il ne demande à sa classe que d’être une source d’avantages personnels. Ce sont :
l’amateur de vie confortable, qui organise la vie de sa classe autour de son confort personnel : il reste assis au maximum à son bureau, il donne des copies de préférence à des exercices demandant plus de corrections, etc.,
l’amateur de prestige professionnel, qui flatte l’administration et les parents en appliquant le plus rapidement possible les directives des supérieurs hiérarchiques même s’il s’agit de manies, sans s’occuper de l’intérêt des élèves,
ou qui, assez systématiquement, qui affirme l’inintelligence des élèves qui lui arrivent, ce qui légitime la fréquence des mauvaises notes,
ou encore celui qui recherche la “ pédagogie facile ” en attirant les meilleurs élèves et en s’arrangeant pour éliminer de sa classe ceux qui ont le plus de difficultés.
S’ils ne sont pas satisfaits, ces maîtres vont s’ingénier à tout critiquer : les élèves “ dégénérés et arriérés ”, les programmes, l’administration, etc. Bien souvent, les enfants ne se rendent pas compte tout de suite du désintérêt du maître à leur égard mais bien plus tard, et ils le méprisent alors.
Les seconds sont les cas de tension qui comprennent
le maître avide d’affection et d’admiration, que le besoin d’être aimé “ tout de suite ” par l’enfant transforme en démagogue : tous les moyens sont bons pour se faire “ bien voir ”, même l’investigation indiscrète dans la vie de l’élève. Cela correspond souvent à une attitude de compensation ; il a vécu des déceptions sentimentales et a du mal à vivre des relations satisfaisantes et gratifiantes avec son entourage, il veut alors “ briller ” en classe. Le maître apparemment sociable, aimable, pratique l’humour alors qu’il cherche simplement à ce que ses élèves l’aiment, même aux dépens du travail scolaire : exercices trop faciles pour mettre des bonnes notes, manque d’exigence à l’égard des élèves. Mais, s’il ne réussit pas, il devient vite impitoyable, très répressif et tyrannique. Les élèves réagissent de façons diverses : certains ont compris le jeu et se montrent provocateurs et moqueurs, les autres s’y laissent prendre et admirent, mais de manière assez passive, dans la mesure où il ne leur est laissé aucune initiative de quelque type que ce soit.
le maître dominateur, qui dirige de façon très autoritaire, ne laisse aucune initiative aux élèves, et cela d’autant plus s’il n’est pas reconnu dans sa vie extérieure, publique et privée. En face, les enfants sont soumis et parfois même terrorisés, à moins que, plus forts psychologiquement, ils n’entrent en rébellion plus ou moins ouverte.
Enfin les derniers cas, ceux d’harmonie, comprennent trois types :
le maître camarade qui essaie d’être proche de ses élèves sans chercher à se glorifier mais qui s’identifie quasiment à eux, qui est de ce fait trop proche et non reconnu pour ses qualités réelles,
le maître ami qui encourage ses élèves à se développer pour eux-mêmes et non pour autrui, avec humour, discrétion, modestie et sans familiarité mais que certains élèves aimant le paraître ont des difficultés à reconnaître,
et le maître fondant sa vie professionnelle sur l’abnégation et le renoncement, qui donne tout son temps, extra-professionnel compris, aux enfants, s’adaptant à tous en fonction de leurs caractères différents et recherchant leurs épanouissements, modeste, ne possédant pas d’ambition dans sa vie personnelle. Il est
Cette typologie élaborée par Max Marchand est intéressante. Inspecteur, il visitait de nombreuses classes et les différents portraits qu’il brosse correspondent encore malheureusement à l’expérience qu’en font, encore actuellement, de nombreux enfants. Mais elle m’interroge justement sur l’histoire même de ces enseignants. Qu’ont-ils vécu, en famille et à l’école, qui les ait conduits à des attitudes aussi égocentriques, aussi fermées aux autres, à leur développement, à un minimum d’éthique ? De qui, de quoi ont-ils peur, se protègent-ils ? En même temps, qu’a vécu cet auteur pour être aussi sensible aux blessures que l’on reçoit enfant, à l’école ? De la même manière, quand il évoque le maître “ éveilleur d’âmes ”, à quelles images se réfère-t-il ?
MARCHAND (M.) : Hygiène affective de l’éducateur, Paris, P.U.F., 1956, 135 pages.