I. G. Critique de l’abnégation et du renoncement

La définition du  maître “ éveilleur d’âmes ” me fait naître des réticences sérieuses. Peut-être est-ce une question de formulation ? Dans le mot “ abnégation ”, il y a une connotation de “ sacrifice ”. En effet, le Petit Robert définit ce terme par

Cette notion de sacrifice me semble négative et introduit une dynamique relationnelle qui peut se révéler dangereuse et perverse si l’on en arrive à ces réflexions trop souvent entendues : “ ‘avec tous les sacrifices que j’ai faits pour toi’ ”, ou “ et dire que je me suis saigné les veines pour toi ”, etc. Au sens étymologique, le martyr qui se “ sacrifie ” ne nous gratifie pas de ces réflexions. En grec, cela signifie :

‘“ celui qui porte témoignage. Le martyr est un témoin non seulement par ses paroles mais par ses actes. Il est prêt à donner sa vie pour une cause, et, de ce fait même, donne une valeur à cette cause. Ceux qui assistent à son témoignage savent que cette cause mérite qu’on donne sa vie pour elle, ou qu’on fasse des actes héroïques, extrêmes, qui peuvent paraître fous. 26”’

De plus, “ ‘donner tout son temps, extra-professionnel compris, aux enfants’ ”, comme l’affirme Max Marchand, n’est pas toujours positif, loin de là. Pour “ donner ”, encore faut-il “ avoir ”, ou mieux “ être ” ! Dans la mesure où, plus que transmettre des connaissances, il est important d’en donner le goût, de faire que les enfants “ aient envie ” de chercher “ pour le plaisir ”, il est important donc que l’enseignant garde du temps pour lui, afin de développer son propre goût de la connaissance, son plaisir de découvrir, de chercher, de faire de nouvelles expériences. C’est davantage par son plaisir manifesté dans ces activités qu’il les incitera à faire de même. c’est en cela qu’il sera “ modèle ”.

Notes
26.

LOBROT (M.) : L’influence des modèles, Les Lilas, éd. Psyénergie, 1987, 282 pages, p.31. L’actualité conforte la définition du “ martyr ” . Par exemple, les Trappistes de Tibéhirine ainsi que Pierre Claverie avaient décidé de rester en Algérie par amitié et par solidarité avec les Algériens dont ils partageaient les conditions d’existence et qui, eux, n’avaient pas la possibilité de se réfugier à l’étranger. Ils savaient qu’ils risquaient leurs vies mais ne recherchaient pas la mort. Ils témoignaient de valeurs humanistes : l’amitié, la solidarité. “ C’est assumer les difficultés de la vie, assumer les conséquences de ses engagements ” écrit Jean-Jacques Pérennès rapportant le passage d’une conférence de Pierre Claverie qui définit aussi le “ martyre blanc ” : “ c’est ce qu’on essaie de vivre chaque jour, c’est-à-dire ce don de sa vie goutte à goutte dans un regard, une présence, un sourire, une attention un service, un travail, dans toutes ces choses qui font qu’un peu de la vie qui nous habite est partagée, donnée, livrée. C’est là que la disponibilité et l’abandon tiennent lieu de martyre, d’immolation. Ne pas retenir sa vie ”. in PERENNES J.J. : Pierre Claverie, un Algérien d’adoption, Paris Cerf, 2000, 394 pages, pp. 331 et 332.