Au début du siècle, Alfred Binet et Théodore Simon élaborent la notion d’âge mental en mesurant les performances des enfants dans différents domaines, pour un âge donné, selon une échelle métrique. Ils veulent, par ce moyen, réintégrer des enfants qui étaient auparavant systématiquement orientés dans les hôpitaux psychiatriques pour des déficiences uniquement intellectuelles. En outre, cette mesure des capacités intellectuelles permet d’évaluer le handicap et de proposer une pédagogie mieux adaptée à l’enfant.
Ils ont des prédécesseurs : l’Abbé de l’Epée et l’Abbé Sicard, qui se sont intéressés aux enfants sourds-muets, Valentin Haüy et Louis Braille aux aveugles, Jean-Marie Itard, E. Seguin et D.M. Bourneville qui ont travaillé avec “ l’enfant sauvage de l’Aveyron ” pour le premier, avec les enfants “ incurables ” ou “ idiots ” à Bicêtre pour les autres. Ces précurseurs créent des écoles, inventent du matériel adapté aux handicaps de ces enfants. Maria Montessori fait de même en Italie. Alfred Binet et Théodore Simon utlisent donc leur test pour adapter au mieux l’enseignement à la réalité des compétences des enfants, afin de leur donner le maximum de chances de développement corporel, intellectuel, social, relationnel37.
Mais il arrive aussi que cette mesure de l’intelligence signe le commencement d’un parcours difficile et douloureux pour l’enfant qui le suit si elle aboutit à une catégorisation qui risque de le cataloguer, dans l’esprit de certains enseignants, comme “ débile ” plus ou moins “ irrécupérable ” en fonction de leurs représentations. Pour s’en rendre compte, il suffit d’écouter certaines réflexions dans les cours de récréation ... Elles rejoignent l’opinion de
“ certains psychologues d’autrefois (qui) admettaient la stabilité du quotient intellectuel comme un véritable dogme. Mais on peut en douter et on peut se demander si cette stabilité n’est pas le résultat, elle aussi, du milieu qui attache une importance excessive aux premiers automatismes et handicape tout le développement ultérieur si ces automatismes ne sont pas acquis ”38 .
Si ces jugements sont éventuellement le fait d’enseignants
“ égoïstes, ne recherchant que leur confort personnel ”39,
ils proviennent surtout des représentations qu’ils se font du handicap et des émotions et sentiments que ledit handicap génère chez eux. Si la personne handicapée n’est plus cataloguée comme “ infra-humaine ”, ce qui était le cas avant le XVIIIème siècle, son handicap engendre des peurs, de l’incompréhension, de l’angoisse chez certains “ normaux ”. Ils oublient alors qu’elle a aussi ses capacités de développement à condition qu’on lui offre le milieu adéquat, qu’elle est une personne avec ses richesses propres à condition que l’on veuille bien les voir. Ils manifestent alors des comportements inadaptés, signes de leur malaise à son égard.
Il y a donc nécessité, à la fois, d’une formation adaptée de l’enseignant ou de l’éducateur pour être à l’écoute des demandes spécifiques des handicapés et d’une exploration des motivations qui le conduisent à ces professions. Veut-il travailler avec des jeunes enfants ou des handicapés en raison de ses compétences et de la richesse personnelle qu’il leur reconnaît ? Ou, ce qui est nettement moins positif, parce qu’il a peur de nouer des relations avec les adultes, parce qu’il ne sent intimement “ pas à la hauteur ”, et que la jeunesse ou le handicap des autres le rassure sur sa propre “ force ” 40? En outre, on a bien souvent de l’intelligence des enfants débiles qui viennent à l’école une représentation erronée.
GARDOU (C.) : “ L’éducation spéciale ” in AVANZINI (G. sous la direction de) : La pédagogie aujourd’hui, Paris, Dunod, 1996, 256 pages, pages 179 à 198.
LOBROT (M.) : Les effets de l’éducation, Paris, E.S.F.; 1971, 284 pages, page 37.
MARCHAND (M.) : op. cit.
MARCHAND (M.) : op. cit.