II. D. Les enfants débiles

L’ouvrage de Michel Lobrot L’intelligence et ses formes 41 est intéressant car il remet en cause les représentations que l’on se fait généralement de l’intelligence et de la débilité. La notion de débilité  

‘“ est définie, d’une manière métrique, comme la zone qui s’étend au-dessous de .75 de quotient intellectuel ”42.’

Mais peut-on dire d’un sujet qualifié de débile qu’il est

‘“ non intelligent ou faiblement intelligent ” ?’

Un certain nombre d’études à leur sujet (débiles dits  “ moyens ”) révèle les images fausses que l’on véhicule bien souvent. Les chercheurs C. Baudin, P. Dague et F. Diehl constatent que les enfants débiles

‘“ obtiennent des résultats à la partie performance (du WISC) supérieurs à ceux qu’ils obtiennent à la partie verbale. (Ils) réussissent mieux dans la partie qui exige précisément le plus d’efficience mentale, en un mot le plus d’intelligence ”43 . ’

De ces recherches nombreuses, on peut conclure que

‘“ les débiles sont handicapés surtout, et peut-être exclusivement, sur le plan des acquisitions et non sur celui des mécanismes intellectuels ”44.’

Un autre chercheur H. Salvat (recherche sur les adolescents débiles de la région lyonnaise) montre aussi que, dans le domaine moteur, ces adolescents ont

‘“ une infériorité qui ne se remarque pas uniformément partout (...) Ils sont capables de réussir comme des enfants normaux à une épreuve qu’ils rencontrent pour la première fois et qui ne possède pour eux aucune coloration négative ”45.’

Quand on considère la lecture et ses rapports avec les tests d’intelligence, Michel Lobrot écrit ceci :

‘“ Il y a deux facteurs qui semblent influer sur ces rapports, à savoir d’une part l’aspect de la lecture et d’autre part l’âge du lecteur. Par aspects de la lecture, il faut entendre les différentes étapes qui jalonnent l’accès à une lecture complète silencieuse et compréhensive, à savoir : le déchiffrage du message syllabe après syllabe, la lecture à haute voix d’un texte complet, la lecture silencieuse de mots ou de phrases isolés, la lecture silencieuse d’un texte. Les aspects qui existent entre ces différents aspects de la lecture et l’intelligence mesurée par les tests ne sont pas les mêmes. En gros, on peut dire que plus on s’éloigne des phrases mécaniques de l’acte lexique, et plus on envisage la compréhension du texte lu, plus les corrélations avec les résultats aux tests d’intelligence sont faibles. Ceci peut sembler paradoxal, mais ne l’est plus, si on admet, comme nous avons essayé de le montrer, que les tests dits d’intelligence ne font que mesurer l’infrastructure mécanique et psychomotrice et peu l’intelligence elle-même ”46. ’

En réalité, l’Ecole, selon A.J. Cropley, dans un livre intitulé Creativity,

‘“ n’utilise pas la créativité mais la combat, en valorisant excessivement la conformité à certaines normes et à certaines attitudes (...) et en assimilant la créativité à la turbulence et à l’indiscipline ”47.’

Ces études montrent que l’enfant débile est en échec quand on lui fait pratiquer

‘“ des activités psychomotrices, verbales et répétitives qui correspondent à des acquisitions précoces de la vie de l’individu ”48

avant son entrée à l’Ecole. Les conditions de ses débuts dans la vie ont été très difficiles et l’ont fortement perturbé. Ce peuvent être des problèmes familiaux et d’environnement. Ce peuvent être aussi des problèmes d’insuffisance enzymatique (comme la phénylcétonurie) ou des accidents génétiques (comme la trisomie) qui provoquent des troubles du métabolisme49. Si les activités proposées à l’école ressemblent quelque peu à celles qu’il a pratiquées auparavant et qui lui ont laissé le souvenir d’échecs douloureux, elles sont connotées négativement. En revanche, si on lui propose d’autres activités totalement nouvelles et demandant de l’efficience mentale, sa réussite sera plus grande.

Si le débile a besoin d’une pédagogie adaptée, on peut penser que la représentation que les enseignants se font de ses compétences n’est pas sans influence sur les activités qu’ils vont lui proposer et sur sa réussite future. A l’encontre des idées reçues, il réussira davantage dans les activités d’ordre intellectuel que de répétition, apparemment plus simples. Ce qui vaut pour les débiles vaut tout autant pour les enfants, adolescents et jeunes à l’Ecole. Voici le témoignage d’universitaires qui furent considérés comme incapables de poursuivre leurs études alors qu’ils étaient au collège :

  1. “ ‘Sixième lamentable, catastrophique qui m’oblige à redoubler (...) Mes parents m’emmènent chez un médecin spécialiste d’enfants qui déclare que je suis manifestement un idiot et qu’il faut me faire quitter les études’ ”50.

  2. “ ‘Je suis fichu à la porte pour inaptitude scolaire en troisième et disorthographique complet. Mon fils a failli être renvoyé en fin de cinquième pour les mêmes raisons et il est docteur ès Sciences’ 51 ”.

Que se serait-il passé pour eux si leurs parents n’avaient pas cru aux capacités de leur progéniture et avaient accepté le verdict de l’école et/ou du médecin ?

Notes
41.

LOBROT (M.) : L’intelligence et ses formes, Paris, Dunod, 1973, 336 pages.

42.

LOBROT (M.) : op. cit. page 30.

43.

LOBROT (M.) : op. cit. page 33.

44.

LOBROT (M.) : op. cit. page 36.

45.

LOBROT (M.) : op. cit. page 46.

46.

LOBROT (M.) : op. cit. page 53.

47.

LOBROT (M.) : op. cit. page 58.

48.

LOBROT (M.) : op. cit. page 59.

49.

LOBROT (M.) : op. cit. chapitre : “ L’intelligence, le cerveau et l’organisme ”.

Voir aussi LOBROT (M.) : Les effets de l’éducation, op. cit. page 43.

50.

LOBROT (M.) : A quoi sert l’école ?, Paris, Armand Colin, 1992, 184 pages, pages 61-62.

51.

Rencontre avec l’auteur à la F.N.A.C. Bellecour à Lyon le 14.05.1996 pour la sortie de son ouvrage NIMIER (J.) : La formation psychologique des enseignants, Paris, E.S.F., 1996, (135 + 86) pages.