I. C. Les débuts de la vie

Réfléchissons sur les premiers moments du nourrisson qui va naître. Alors qu’il vivait au chaud et un peu à l’étroit dans le milieu aquatique du ventre maternel, le voilà propulsé dans un canal très étroit par les contractions de l’accouchement, puis expulsé à l’air libre dans un monde complètement nouveau pour lui. Des mains le saisissent, lui coupent le cordon, le sèchent ou lui donnent un bain avant de le vêtir, de le coucher auprès de sa mère ou dans une pouponnière. Cet événement laisse des traces qui induiront le comportement ultérieur du bébé. S’il a eu le temps, une fois dehors, de prendre contact avec l’environnement, à plat-ventre sur celui de sa mère qui le caresse de ses mains chaudes et accueillantes, avant d’être baigné dans une eau à la température du corps qui lui rappelle le lieu qu’il vient de quitter, et mis au sein sous une lumière douce, bébé sourit parce qu’il reçoit des perceptions tactiles, auditives, visuelles, olfactives et gustatives agréables, une sensation de bien être du monde qui l’entoure59. Celui-ci lui apparaît “ bon ”.

Mais parfois les choses se passent moins bien. L’enfant est trop petit et naît avec beaucoup d’avance sur la date prévue, sa tête est très grosse ..., ou ... et ce sont les ordres brefs des médecins, les premiers contacts avec les perfusions, la matériel médical froid en acier, les gestes douloureux sur sa personne, les odeurs pharmaceutiques, la lumière aveuglante du scialytique, le bruit de la pouponnière, l’angoisse ambiante et la solitude au fond du lit : le monde alors ne semble plus vraiment “ bon ”.

En fait, dès notre naissance et jusqu’à notre dernier jour, la réalité nous apparaît dichotomique, bonne ou mauvaise, mais jamais neutre. Pour apprécier la vie qui s’ouvre à lui, il est nécessaire que le nourrisson satisfasse ses besoins élémentaires de nourriture, de sommeil, de contacts, de découverte, de plaisir60 . Lui donner à manger, le changer et le laisser dormir ne suffisent pas. Le nourrisson a besoin d’être dorloté, bercé, embrassé, il a besoin de paroles, de sourires, de relations. C’est l’émotion vécue qui donne du sens à l’expérience, et cela commence très tôt : ce qui est ressenti comme agréable incite à l’ouverture sur le monde, la vie, les “ autres ”, ce qui est ressenti comme pénible incite au contraire à la fermeture et évoque la mort.

Or, les enseignants ont été des nourrissons, des enfants, des adolescents avant d’être promus comme instituteurs “ raisonnables ”. Ils ont un vécu antérieur qui a donné et qui donne un sens à celui d’aujourd’hui. Il est donc bon de s’en souvenir, bon de ne pas oublier la primauté de l’affectif, ainsi que le montre la théorie psychologique des émotions de Michel Lobrot, théorie confirmée par les recherches actuelles en neurobiologie et en psychologie.

Notes
59.
60.

Voir les travaux et l’ouvrage de Frédéric LEBOYER : Pour une naissance sans violence, Paris, Seuil, 1974

VINCENT J.-D. : Biologie des passions, Paris, éditions Opus-O. Jacob, Février 1986, Octobre 1994, 406 pages. En introduction au chapitre “ Le plaisir et la douleur ” dans l’ouvrage Biologie des passions, Jean-Didier Vincent écrit : “ Concept obscur, sentiment lumineux, le plaisir doit être conçu à la fois comme état et acte, un affect qui ne peut être dissocié du comportement qui lui a donné naissance. Récompense pour l’individu, il est le moteur de son apprentissage et de l’évolution des espèces. L’homme seul dit son plaisir ; mais, à observer l’animal en action, nous concluons parfois qu’il y prend du plaisir. ” (p. 191) Il poursuit : “ le plaisir est un besoin fondamental de l’animal évolué et (...) l’importance de la demande s’accroît avec le degré d’évolution des espèces. ” (p; 192) et : “ La fameuse définition (Spinoza) : “ La joie est la passion par laquelle l’esprit passe à une perfection plus grande ” situe dans son caractère dynamique, l’affirmation du plaisir. Chez l’animal, on décrit un continuum de comportement, approche-fuite, qui constitue la version motrice du continuum affectif, plaisir-aversion. Le plaisir est ce qu rapproche, la douleur ce qui éloigne. Si le plaisir est inséparable de l’action d’un individu, il ne pourra pas être absent de l’évolution des espèces qui a abouti à cet individu ”.(p.194)