II. La primauté de l’affectif

II. A. La théorie psychologique des émotions

II. A. 1. L’affectivité, c’est “ nous ”

L’affectivité fait partie de nous, elle est “ nous ”. D’une part, elle marque, elle colore les moindres moments de notre vie, nos actes, nos pensées, nos relations ainsi que les réalités apparemment les plus intellectuelles, les plus désincarnées. Un mathématicien manie des équations d’abord parce qu’il y trouve son plaisir. D’autre part, alors que nous aimerions bien la contrôler, l’affectivité, bien souvent, nous échappe. Elle surgit violemment, brutalement, à la manière d’une tornade, d’une tempête, elle nous envahit totalement malgré nous : certains événements nous font pleurer de joie ou de tristesse, ou de désespoir, d’autres nous mettent en colère mais nous ne pouvons pas ne pas ressentir ces émotions et/ou ces sentiments qui font irruption au moment parfois le plus inattendu. Nous devons  “ faire avec ”.

Les philosophes comme les simples mortels auraient aimé voir les hommes gouvernés par la raison qui aurait contrôlé leurs passions mais l’émotion qui les saisit est un “ ébranlement ” qui se répercute dans la totalité de leur être, à la manière d’un raz-de-marée, d’un tremblement de terre dont les répliques peuvent se ressentir très loin du point d’impact. Elle se manifeste en outre sous des formes multiples par l’intermédiaire de tous les systèmes régulant la vie : battements de coeur et circulation sanguine s’accélérant ou se ralentissant, sensations d’étouffement, de froid, d’anesthésie, de boule au creux de l’estomac, transpiration, phénomènes de paralysie, comportements obsessionnels, perte d’idées, de volonté.

Historiquement, durant de nombreux siècles, si nous remontons à l’Antiquité grecque, nous constatons que l’affectivité fait peur et qu’elle est opposée à la raison “ qui nous dirige ” aux passions que nous subissons. Mais il n’existe pas d’interrogation sur ce qui

‘“ met en branle cette raison 61”’

et sur ce qu’elle dirige. Selon les stoïciens, c’est l’intellect qui va s’opposer aux passions et

‘“ nous rendre maîtres de nous-mêmes62 ”.’

A partir du Moyen Age, et jusqu’au XVIIIè siècle, nous parlons du corps et de l’âme :

‘“ Les passions viennent du corps et l’âme spirituelle a pour fonction de les contrôler63 ”.’

Pour Descartes, cette séparation entre âme et corps est encore accentuée :

‘“ Le corps est capable de s’animer et de se diriger lui-même, par le moyen des “ esprits animaux ”. L’âme n’a pas d’autre fonction que de penser64 ”’

Pourtant, il prend conscience que bien souvent, ce n’est pas

65“ l’âme qui s’impose au corps, mais le corps qui s’impose à l’âme ”’

par l’intermédiaire de l’émotion qui, si elle est forte, perturbe le fragile équilibre. Les exemples sont nombreux : le trac qui paralyse, une blessure à un endroit périphérique (main ou pied) qui, non seulement limite nos actes mais envahit notre psychisme, se rappelle constamment à nous, etc. A l’aube d’un nouveau siècle, il est en général reconnu que l’affectivité sous-tend tous nos actes, toutes nos pensées. En revanche, l’idée que l’émotion, qu’elle soit douce et intégrée, ou brutale, nous crée, nous forme, nous organise, nous fait ce que nous sommes ici et maintenant, cette idée donc, n’est pas réellement acceptée et suscite encore des doutes. Cela fait toujours peur. Pourtant cette affectivité, constituée d’émotions et de passions, est la vie elle-même, définit le vivant. Elle

‘“ fait passer une réalité quelconque appartenant à notre cadre de vie, du statut d’objet pur, au statut de réalité impliquée, de chose “ bonne ” ou “ mauvaise ” . Le “ bon ” ou le “ mauvais ” n’existent pas tels quels dans la nature. ”66
Notes
61.

LOBROT (M. et coll.) : Le choc des émotions, Tours, éd. de La Louvière, 1993, 287 pages, p. 5.

62.

LOBROT (M. et coll.) : Le choc des émotions, Tours, éd. de La Louvière, 1993, 287 pages, p. 6.

63.

LOBROT (M. et coll.) : Le choc des émotions, Tours, éd. de La Louvière, 1993, 287 pages, p. 6.

64.

LOBROT (M. et coll.) : Le choc des émotions, Tours, éd. de La Louvière, 1993, 287 pages, p. 6.

65.

LOBROT (M. et coll.) : Le choc des émotions, Tours, éd. de La Louvière, 1993, 287 pages, p. 7.

66.

LOBROT M. : “ Introduction ”, in LOBROT M. et collaborateurs : Le choc des émotions, éditions de La Louvière, Château La Vallière, 1993, 287 pages, p.9.