II. A. 2. L’émotion organisatrice de notre vie psychique

L’émotion nous habite constamment même quand nous ne sommes pas confrontés à une situation qui nous bouleverse. Elle

‘“ est essentiellement une réaction à une situation extérieure67 ”’

que nous n’avons pas évaluée auparavant. Cette réaction prolonge en nous l’état de plaisir ou de douleur auquel nous avons été confrontés, et cet état dure même si, dans le cas des émotions douloureuses, nous aimerions nous en débarrasser. Cette émotion, ou plutôt ces émotions, vont aussi déterminer notre apparence, nos tics, notre manière de nous présenter, de nous tenir, elle vont créer nos états d’âme, parfois induire un état d’angoisse qui nous rend la vie difficile et que nous ne parvenons plus à relier à un événement précis, état qui se révèle dans des moments de non plaisir, de désintérêt, de vide, car

‘“ le non plaisir est aussi nocif que la douleur, du fait qu’il correspond à un arrêt dans le développement et à une impossibilité de combler les souffrances. Ne pas avancer, c’est reculer. La vie se définit par le progrès 68”.’

L’émotion donne une valeur à la situation que nous vivons et l’intègre à notre psychisme en lui donnant une durée par la remémoration. Si je pense à un moment de bonheur vécu auparavant, je le fais exister à nouveau dans ma vie intérieure, et surgissent en moi les émotions positives déjà éprouvées. Surgissent aussi les sensations de bien-être, d’euphorie, qui transparaissent dans des attitudes, des postures, l’humeur, etc., qui acquièrent une certaine permanence. Le même phénomène se produit à partir d’émotions négatives. Quand nous observons une personne, nous ne voyons pas uniquement ses caractéristiques physiques ou les actions qu’elle produit, nous remarquons aussi la fluidité de ses gestes ou leur rigidité, une certaine détente ou des crispations qui reflètent aussi son état intérieur. Selon le vécu de la personne, les choix de vie qu’elle aura faits, une crispation qui aurait pu être passagère se transformera en rigidité qui subsistera même quand la situation qui l’avait fait surgir aura disparu. Cela détermine l’apparence, la manière d’être, d’appréhender les situations, la vie en général.

La formation de ce qu’on appelle les réflexes s’origine aussi dans l’émotion. Si le nourrisson à sa naissance est capable de mouvements, ces derniers

‘“ ne sont rien d’autre que des supports d’expérience ”.69

C’est à partir de la valeur d’attrait ou de répulsion que reçoivent les expériences que les réflexes s’acquièrent ainsi que les habitudes, que

‘“ les émotions transforment en pulsions ”70.’

C’est parce que leurs premières expériences de succion se sont révélées malheureuses que certains nourrissons se laissent mourir de faim.

Notes
67.

LOBROT (M. et coll.) : Le choc des émotions, Tours, éd. de La Louvière, 1993, 287 pages, p. 12.

68.

LOBROT (M. et coll.) : Le choc des émotions, Tours, éd. de La Louvière, 1993, 287 pages, p. 14.

69.

LOBROT M. : “ Introduction ”, in LOBROT M. et collaborateurs : Le choc des émotions, éditions de La Louvière, Château La Vallière, 1993, 287 pages, p. 15

70.

LOBROT M. : “ Introduction ”, in LOBROT M. et collaborateurs : Le choc des émotions, éditions de La Louvière, Château La Vallière, 1993, 287 pages, p. 14.