II. A. 3. L’émotion fondatrice de la vie affective

Les psychologues de la fin du XIXè et du début du XXè, notamment William James et C. Lange, voient l’émotion comme essentiellement viscérale, appartenant

‘“ au système neuro-végétatif : respiration, circulation du sang, battements de coeur, sudation.71 ”’

C’est sous l’influence d’une émotion forte que l’organisme réagit sur ces différents plans. Mais d’autres chercheurs, dont Cannon, montrent que les émotions ne sont pas que viscérales :

‘“ Si on sectionne, chez un chien, toutes les voies nerveuses appartenant au système neuro-végétatif, sauf celles qui sont indispensables à la vie, le chien continue à manifester des émotions72 ”.’

Durant la même période, d’autres scientifiques, parmi lesquels Pierre Janet et Henri Wallon

‘“ découvrent que les processus émotionnels se rencontrent à tous les étages du psychisme73 ” :’

niveau psycho-moteur et postural sous le contrôle de la volonté (exemple la colère), niveau sensoriel et perceptif (phénomènes d’anesthésie), niveau idéatoire, ainsi que dans les actes volontaires (incapacités volitives). En réalité

‘“ l’émotion s’empare d’actes qui, normalement servent à avoir une action sur le monde ( ...) mais elle utilise les perceptions proprioceptives (en input), déclenchées par cet acte. ( ... ) Elle nous fait sentir, à l’intérieur de nous, tout un ensemble de modifications internes, de vibrations, qui sont polarisées positivement ou négativement74 ”.’

Selon Pierre Janet, ce sont les émotions négatives envahissant le psychisme qui provoquent dépressions et névroses. Les observations d’Antonio Damasio sur des patients qui ont perdu leurs capacités à ressentir des émotions (ceci étant dû à la destruction d’une partie de leur cerveau à la suite d’accident ou de maladie), alors même que leurs facultés intellectuelles sont restées intactes, montrent qu’ils ne sont plus capables d’utiliser ces dernières de façon adéquate dans leur vie personnelle, sociale, familiale et professionnelle. Ils gardent leurs capacités “ théoriques ”, répondent correctement aux tests de laboratoire, mais ne peuvent les appliquer aux mouvements changeants de la vie, comme si ces capacités fonctionnaient “ à vide ”. Ils sont détachés du plaisir, de la souffrance, du désir. On pourrait dire que l’incapacité à ressentir les émotions déconnecte en quelque sorte l’intelligence de la réalité sur laquelle elle est appelée à s’appliquer.

Notes
71.

LOBROT (M. et coll.) : Le choc des émotions, Tours, éd. de La Louvière, 1993, 287 pages, p. 10.

72.

LOBROT (M. et coll.) : Le choc des émotions, Tours, éd. de La Louvière, 1993, 287 pages, p. 10.

73.

LOBROT (M. et coll.) : Le choc des émotions, Tours, éd. de La Louvière, 1993, 287 pages, p. 11.

74.

LOBROT (M. et coll.) : Le choc des émotions, Tours, éd. de La Louvière, 1993, 287 pages, p. 11.