II. B. Les recherches en neuro-biologie

II. B. 1. L’importance des contacts corporels

Donc, dès notre naissance et jusqu’à notre dernier jour, la réalité nous apparaît dichotomique, bonne ou mauvaise, mais jamais neutre. Pour apprécier la vie qui s’ouvre à lui, il est nécessaire que le nourrisson satisfasse ses besoins élémentaires de nourriture, de sommeil, de contacts, de découverte, de plaisir94 . Lui donner à manger, le changer et le laisser dormir ne suffit pas. Le nourrisson a besoin d’être dorloté, bercé, embrassé, il a besoin de paroles, de sourires, de relations. Ashsley Montagu considère que

‘“ le développement plus ou moins précoce du système nerveux de l’enfant dépend en grande partie des stimulations tactiles qu’il reçoit ” (et que) “ au contraire, dans les orphelinats, le manque de stimulus dans la petite enfance est un facteur qui tend à retarder le développement des enfants ”.95

Des études menées dans différents pays (USA, Europe : R.A.Spitz, J.Bowlby96, H.Montagner97) corroborent ces opinions. Déjà, au XIIè siècle, Frédéric II de Prusse voulait découvrir la langue que parleraient les enfants si personne ne leur parlait auparavant. Il interdit aux nourrices de leur parler et les enfants moururent tous98. Cela corrobore les observations de Spitz sur l’hospitalisme des enfants. D’autres expériences menées sur des animaux de laboratoire (K.Lorenz, Harlow), rats, singes, ou observées sur des groupes de nourrissons (H.Montagner et le groupe de Besançon), montrent l’importance du contact affectif : les rats de laboratoire manipulés se développent plus rapidement que les autres et sont moins perturbés face au stress99. La même chose a été constatée dans certaines maternités :

‘“ Barnett et ses collaborateurs de l’école de médecine de l’université de Stanford ont encouragé 41 mères à prendre dans les bras et manipuler leur bébé prématuré à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Toutes les personnes concernées les bébés, les mères, les infirmières et les docteurs s’en trouvèrent considérablement mieux. Il n’y eut pas d’augmentation des infections les plus redoutées, ni aucune sorte de complications100. ”’

Jean-Didier Vincent confirme l’importance des premiers contacts mère-enfant :

‘“ Une mère privée de son nourrisson pendant 24 heures après la naissance le portera, le plus souvent, anormalement à droite. Ce “ bébé de droite ” nécessitera deux fois plus d’aide médicale par la suite qu’un “ bébé de gauche ”. ”101

Cela veut dire que l’organisme vit en relation avec son milieu ; ses sécrétions hormonales, son humeur reflètent son histoire. Les recherches en neurobiologie animale et les observations médicales montrent que les réponses quotidiennes, au stress, à l’inconnu, diffèrent en fonction de la situation et de celles vécues antérieurement. L’évolution des espèces serait fondée sur le plaisir qui

‘“ favorise l’adaptation de l’espèce : ce qui est bon pour elle entraîne du plaisir, et ce qui est mauvais du déplaisir. Un stimulus plaisant décharge une forte quantité d’énergie vers les muscles qui étaient en action, les canaux moteurs sont ainsi rendus plus perméables, alors que les stimuli déplaisants ferment par désaffection les canaux moteurs correspondants ”102
Notes
94.

Voir les travaux et l’ouvrage de Frédéric LEBOYER : Pour une naissance sans violence, Paris, Seuil, 1974

VINCENT J.-D. : Biologie des passions, Paris, éditions Opus-O. Jacob, Février 1986, Octobre 1994, 406 pages. En introduction au chapitre “ Le plaisir et la douleur ” dans l’ouvrage Biologie des passions, Jean-Didier Vincent écrit : “ Concept obscur, sentiment lumineux, le plaisir doit être conçu à la fois comme état et acte, un affect qui ne peut être dissocié du comportement qui lui a donné naissance. Récompense pour l’individu, il est le moteur de son apprentissage et de l’évolution des espèces. L’homme seul dit son plaisir ; mais, à observer l’animal en action, nous concluons parfois qu’il y prend du plaisir. ” (p. 191) Il poursuit : “ le plaisir est un besoin fondamental de l’animal évolué et (...) l’importance de la demande s’accroît avec le degré d’évolution des espèces. ” (p; 192) et : “ La fameuse définition (Spinoza) : “ La joie est la passion par laquelle l’esprit passe à une perfection plus grande ” situe dans son caractère dynamique, l’affirmation du plaisir. Chez l’animal, on décrit un continuum de comportement, approche-fuite, qui constitue la version motrice du continuum affectif, plaisir-aversion. Le plaisir est ce qu rapproche, la douleur ce qui éloigne. Si le plaisir est inséparable de l’action d’un individu, il ne pourra pas être absent de l’évolution des espèces qui a abouti à cet individu ”.(p.194)

95.

MONTAGU A. : La peau et le toucher, Paris, Seuil, 1979, 223 pages, p.143.

96.

ZAZZO (R.) : Le colloque sur l’attachement, Paris, delachaux et Niestlé, 1979, 250 pages.

97.

MONTAGNER (H.) : L’attachement, les débuts de la tendresse, Paris, Seuil, coll. Points, 1991, 335 pages.

98.

MONTAGU A. : La peau et le toucher, Paris, Seuil, 1979, 223 pages, p. 70. Il est évident qu’au niveau éthique, c’est une “ expérience ” qui ne pourrait avoir cours actuellement. Toutefois, à l’époque de Frédéric II de Prusse, on n’avait pas compris l’importance de ces relations. Dans la mesure où ils étaient nourris, changés, on considérait que l’on avait tout ce qu’il fallait pour ces nourrissons.

99.

MONTAGU A. : La peau et le toucher, Paris, Seuil, 1979, 223 pages, relation des observations de Weininger, p. 28.

100.

MONTAGU A. : La peau et le toucher, Paris, Seuil, 1979, 223 pages, p.89.

101.

VINCENT J.-D. : Biologie des passions, Paris, éditions Opus-O. Jacob, Février 1986, Octobre 1994, 406 pages, p.343.

102.

VINCENT J.-D. : Biologie des passions, Paris, éditions Opus-O. Jacob, Février 1986, Octobre 1994, 406 pages, p. 195.