II. B. 5. Nécessité d’expériences positives concomitantes à un traumatisme

Michel Lobrot propose une hypothèse explicative à cela. Les personnes dépriment parce qu’elles ne vivent pas d’expériences fortes de plaisir d’ordre intellectuel, esthétique, relationnel, corporel ... qui les dynamisent. Leurs vies leur apparaissent “ vides ”. Reprenant l’histoire d’Anna O.111, il explique la maladie de la jeune fille par la situation qu’elle vit : devant veiller son père malade durant la nuit, elle est déphasée et ne rencontre plus ses amis. Elle perd, par cette garde, toutes les sources de satisfactions qui faisaient sa vie. Si, suite aux visites de Breuer, son état s’améliore, c’est d’abord parce qu’elle “ compte ” pour le médecin qui vient la voir tous les jours (même les week-ends) et, durant un certain temps, deux fois par jour, qui supprime aussi ses vacances pour elle. Il l’écoute et elle se sent valorisée. C’est une expérience affective très forte. Il en est de même pour chacun d’entre nous

De même, les capacités qu’a une personne de surmonter un traumatisme dépendent en grande partie des expériences positives vécues antérieurement et de ces mêmes expériences vécues concomitamment au choc :

‘“ Lorsque nous sommes étreints par l’angoisse, la nuit vers quatre heures du matin, ou lorsque nous traînons des heures entières une boule à la gorge, un étau sur le plexus, un malaise indéfinissable, nous nous demandons d’où cela vient, et cela correspond à une interrogation d’ordre rationnel. Pourtant nous savons bien, à un autre niveau, qu’un état de ce genre se trouve complètement supprimé pour peu que nous nous mettions à agir, à faire des choses qui nous plaisent, à avoir d’autres pensées. Ce sont donc bien nos pensées, et nos perceptions du moment qui se trouvent à l’origine et qui se mettent à peser de tout leur poids sur notre psychisme du fait de l’absence concomitante d’éléments opposés, à cause de la vacance créée par la nuit ou par l’absence d’êtres chers, ou par la solitude, ou par le désoeuvrement. 112”’

Anna O. devient malade parce qu’en soignant son père, elle ne rencontre plus ses amis, ne sort plus, se retrouve seule. Il semble que, par rapport à cette hypothèse explicative montrant les liens entre traumatismes et expériences positives concomitantes, il n’y ait encore aucune étude systématique de faite. Toutefois des témoignages la confirment et je prendrai comme exemples ceux de Violette Maurice, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Gaby Cohn-Bendit. Les deux femmes sont rescapées du camp de concentration de Ravensbrück, le dernier, fils d’émigrés allemands antifascistes, a trois ans au début de la guerre et se souvient des avatars de cette période.

Notes
111.

LOBROT (M.) : Les forces profondes du moi, Paris, éd. Economica, 1983, 322 pages, chap. 3 à 6.

112.

LOBROT (M.) : Les forces profondes du moi, Paris, éd. Economica, 1983, 322 pages, pp. 12-13.