IV. Prendre en compte les refus

On comprend mieux alors l’importance des conseils de Michel Lobrot dans A quoi sert l’école ? à propos des classes non directives et qui sont aussi utiles dans une classe plus traditionnelle :

‘“ Il ne s’agit pas d’abandonner les élèves, de les laisser seuls, ce qui ne peut produire que des réactions d’abandon et des sentiments d’impuissance. Au contraire, il faut que l’enseignant soit plus présent encore que dans une classe traditionnelle. Il doit en effet sentir les désirs des élèves et répondre à ces désirs. Cela n’est pas facile. Les désirs souvent ne se manifestent pas ou se manifestent d’une manière détournée. Il faut savoir les décoder, et ensuite, il faut savoir y répondre. Cela exige beaucoup d’empathie, de sensibilité, d’intelligence et de compétence ... Comment connaître le désir de l’élève ? En essayant et en proposant. La pédagogie non directive n’exclut en aucune manière ces initiatives. Ce qu’elle exclut par contre radicalement, c’est de continuer dans une voie qui a été explicitement refusée. C’est alors qu’elle se transforme en pédagogie autoritaire. La pédagogie non directive n’est pas une pédagogie de la non intervention mais une pédagogie de la non autorité. Intervenir est non seulement possible mais nécessaire dans toute pédagogie.139 ”’

“ ‘Ne pas continuer dans une voie qui a été explicitement refusée’ ” ne correspond aucunement à “ céder à un caprice ”. Il est évident que l’enfant qui a été mis dans une situation d’échec et/ou d’humiliation au début d’un apprentissage, s’en éloigne : il n’en a reçu que de la souffrance. La réaction de rejet est avant tout une réaction émotionnelle de survie, accompagnée de manifestations plus ou moins somatiques : angoisse, troubles du sommeil, perturbations neuro-hormonales diverses, nausées, etc. Cette réaction est dirigée non seulement vers le maître violent, humiliant, méprisant, mais aussi vers la matière enseignée. C’est pour cela que M. Loubon, malgré ses qualités, sa présence, ne parvient pas à permettre les progrès d’Azouz. C’est seulement dans les circonstances particulières de mai 68 où, au lieu d’un sujet de rédaction précis, il donne la liberté à chacun d’écrire sur ce qu’il veut (désir), qu’Azouz peut réellement écrire. Ce n’est plus le contexte classique de la classe, c’est un moment privilégié de communication authentique où l’enfant peut confier certaines émotions à un adulte qui l’écoute, ce n’est plus un “ devoir ” c’est une relation de personne à personne, c’est la rencontre de deux libertés dans un climat de confiance où le professeur incite, encourage et où l’enfant peut se dévoiler, se montrer, être, et poser ses défenses.

Cette théorie montre l’importance primordiale du psychologique dans le développement de l’être humain. Et cela vaut pour tous les apprentissages, donc aussi les apprentissages à l’école. Quand on interroge un élève “ mauvais ” dans une matière particulière, ou en général, on constate bien souvent des liens entre les résultats et la relation avec le(a) maître(sse). Les mauvais rapports affectifs perturbent l’apprentissage. Pour se développer à l’école physiquement, intellectuellement, relationnellement, l’enfant a besoin d’enseignants capables d’écoute, d’adaptation, d’enthousiasme. Mais ces derniers ont aussi une histoire ... faite de moments heureux qui les ont épanouis, et de moments malheureux qui les ont refermés sur eux-mêmes. De là, leurs richesses humaines, leur souplesse et leurs failles, leurs rigidités.

C’est à partir de ces “ fondations ” théoriques que j’analyse leurs histoires personnelles et professionnelles. C’est pour cela que mon appréciation de leurs “ bons ” souvenirs peut parfois varier de la leur. Par exemple, je ne considère pas que,  même “ avec le recul ”, Claudine ait vécu une “ bonne ” expérience avec les inspectrices qui sont venues la voir au début de sa carrière, et que ces dernières l’ont “ bien ” formée. C’est ce que nous verrons dans les chapitres qui suivent. Mais auparavant, il s’agit de savoir quelle méthodologie employer pour mener les entretiens, et comment les dépouiller. C’est l’objet du quatrième chapitre.

Notes
139.

LOBROT M. : A quoi sert l’école ? Paris, Armand Colin, 1992, 184 pages pp. 148-149 et p. 150 dans l’édition de 1986 à compte d’auteur.