I. B. L’école

I. B. 1. Le primaire

Je commence l’école en section enfantine et cours préparatoire dans la classe de ma mère. Je n’ai pas de souvenirs particuliers. La méthode de lecture est, me semble-t-il, syllabique, je me rappelle de “ titi, toto ”, de syllabes et de mots découpés dans du carton qu’elle nous distribue et que nous devons montrer quand elle les prononce, un peu comme dans un jeu de loto. Je crois que j’ai toujours aimé lire et que ma mère nous achetait assez régulièrement et facilement des livres. La lecture est une activité valorisée en famille, les livres le cadeau le plus fréquent. Je dois travailler assez bien à l’école puisque la maîtresse de cours élémentaire, me fait passer directement en CE2 après quelques jours de CE1. Quelques souvenirs : le lait  “ Mendès ” le soir, avant de quitter la classe ; la maîtresse nous conseillant de mentir si l’inspecteur nous interroge à propos de devoirs à la maison ... C’est donc peu de temps après la circulaire d’interdiction des devoirs à la maison (décembre 1956), circulaire que je n’ai jamais vue appliquée. En CM1, je suis dans la classe de la directrice, qui prend sa retraite en fin d’année scolaire. Avec elle aussi, les devoirs du soir ne manquent pas. C’est encore l’année où, au printemps, sévit une épidémie de scarlatine qui aboutit à la fermeture de l’école au moins une semaine avant les vacances officielles. Il fait beau mais – ainsi que mes camarades – je n’en profite guère : une quantité de devoirs absolument démentielle (calcul, rédaction, exercices de Bled, etc.) m’occupe toute la journée, tous les jours. Puis la maîtresse de cours élémentaire prend la direction de l’école de filles et la classe de cours moyen et fin d’études. Durant mon CM2 puis un cours supérieur, la directrice se démène pour que le cours complémentaire (?) ou peut-être déjà collège d’enseignement général de garçons, accepte les filles. C’est, paraît-il, difficile, le directeur étant très réticent, mais un argument se révèle décisif : si ma mère ne veut pas m’envoyer en sixième au lycée, à quinze kilomètres de là, elle est obligée de m’inscrire à l’école privée. L’argument porte, nous sommes sept filles en 6ème à la rentrée. En revanche, à la fête de Noël qui suit, elle demande à toutes ses anciennes élèves maintenant en sixième, sauf à moi, de venir chanter une mélodie sur laquelle devaient danser ses élèves. Il est vrai que je n’ai pas beaucoup de voix, surtout je suis très timide. Je chante juste mais je n’ose pas. Et je n’apprécie pas cette mise à l’écart délibérée140. Pour conclure sur ma scolarité primaire, bien que j’y réussisse en général, je me souviens de mon indignation face à des enseignants injustes et humiliants, je me rappelle le bonnet d’âne, le “ piquet ”, l’élève devant faire le tour des classes et montrer son cahier ouvert aux pages où les exercices n’avaient pas été compris. Peut-être sont-ce toutes ces raisons qui m’incitent à me réfugier systématiquement dans la lecture. J’ai le sentiment que famille et école ont renforcé un sentiment d’angoisse diffus, des tendances névrotiques, à faire le maximum pour passer inaperçue, pour ne pas m’imposer, une difficulté à m’exprimer, à imaginer, à faire preuve d’originalité, à oser questionner, à m’affirmer. Même si j’ai un peu évolué depuis, cela m’a demandé et me demande encore un très gros et très long travail sur moi.

Notes
140.

En revanche, l’année suivante, le directeur de la chorale paroissiale vient me chercher pour chanter...