I. B. 2. Le collège

Mes souvenirs de collège sont disparates. En 6è, le professeur de mathématiques et sciences, une jeune normalienne fraîche émoulue de l’école normale à qui nous sommes allées, nous les filles, souhaiter sa fête, nous invite à prendre le thé chez elle. Nous y fumons nos premières cigarettes. En 5è, le professeur d’anglais nous initie à la liturgie du thé, celle de sciences nous dissèque un escargot le jour du passage de son CAP de CEG. C’est une période où les instituteurs peurvent, s’ils le veulent, devenir professeurs de collège et, durant une ou deux années, nous avons régulièrement un instituteurs en stage quelques jours avant de passer le CAP à la fin de la semaine.

En classe, on ne mélange pas “ les torchons et les serviettes ” : les filles occupent une rangée, les garçons les autres, les cours de récréation sont séparées et l’étude du soir se termine un quart d’heure plus tôt pour elles, qui les attendront patiemment dehors à la sortie du collège. Mais nos rapports sont plutôt bons, bien que certains soient loin d’être des anges. Des années après, je découvre dans le journal local qu’un de mes condisciples de 6ème est étiqueté “ individu dangereux ”, qu’un autre de 5ème partait agresser les grands-mères à Genève le soir. Je me rappelle surtout le directeur dont la punition favorite distribuée généreusement est “ acquérir de bonnes habitudes ” que nous transformons consciencieusement en “ s’abstenir d’acquérir de bonnes habitudes ”, du plan invariable de ses cours d’histoire et de géographie invariablement : “ I. 1. A.a. voir livre page ....”. Pour ne pas transformer ses cours, le nombre des élèves ayant fortement augmenté, les livres avec lesquels il les avait préparé étaient si vieux qu’il avait du faire le tour des établissements du Chablais pour en dénicher quelques uns, ne les trouvant plus dans les librairies... Il nous enseigne aussi le français et le nom “ ami ” doit être systématiquement écrit au féminin dans les rédactions des filles et au masculin dans celles des garçons, ce qui m’incite à écrire des histoires où la gent masculine intervient d’autant plus que le temps n’est pas loin où nous jouions avec ses fils. En outre, il a de nombreux tics, que tous les enfants qui avaient des grands frères au collège reproduisaient fidèlement. Deux épisodes amusants me reviennent en mémoire à son propos. Le premier concerne deux élèves de cinquième (j’étais alors en quatrième). Un jour, ils se sont soi-disant perdus en venant au collège... En réalité, un des deux, intelligent mais avec une mentalité “ d’homme des bois ”, avait entraîné un camarade avec lui dans les bois au lieu de venir en cours. Il avait en outre tué un animal, l’avait dépecé, vidé, et fait cuire sur un feu de bois pour le manger ... Bien sûr, ils ne sont arrivés en cours que l’après-midi. Le conseil de discipline les a exclus trois jours et le responsable de ces péripéties disait à un professeur : “ ‘Vous vous rendez compte, M’dame, trois jours de porte, trois jours pour aller dans les bois !’ ” Le second concerne le directeur de collège quand j’étais en troisième. Il avait réprimandé les élèves garçons pour une bagarre qui, en fait, ne s’était pas produite. Ayant décidé de se venger, ces derniers m’avaient alors demandé de leur confectionner deux cocottes en papier – j’étais experte dans les pliages – qu’ils avaient mis au milieu de la cour et étaient tous autour à crier comme s’ils soutenaient de la voix deux adversaires. Bien entendu, le directeur entendit le vacarme dans la cour et vint séparer les combattants ... Je n’ai pas oublié ces événements pourtant lointains, révélateurs d’une ambiance qui incitait davantage à la rébellion qu’à donner le goût du travail et de la recherche intellectuels.

Enfin, le professeur d’éducation civique en 3ème, militant communiste convaincu et sectaire commence son cours l’année où De Gaulle organise un référendum en automne. Ses interventions sous-entendent que le “ non ” l’emportera. N’ayant pas une conscience politique particulièrement aiguë, nous espérons le “ oui ” pour voir ses réactions. Ses prédictions ont quelques années d’avance et le cours se transforme alors en plan de rédaction à rédiger dans l’heure. Ceux qui l’ont en français et en histoire-géographie ne rient pas. Je le revois encore circulant dans une classe à la fin d’un cours de français qui aurait dû être celui d’éducation physique, en tenant à bout de bras une chaise qu’il voulait lancer sur le premier élève qui bougerait ... et me revois donner un coup de main avec ma mère à ma soeur parce qu’ayant soi-disant mal orthographié le nom de la capitale de l’Islande, elle doit recopier plusieurs fois son cours.