I. C. 4. Ceux de l’école normale

A l’école normale, existe une communauté qui regroupe à l’extérieur de ses murs les normaliennes chrétiennes qui le désirent. Ce sont toujours des prêtres qui l’animent. La première année, deux se succèdent, le premier part pour l’Afrique noire et le second pour l’Algérie, pour apprendre l’arabe avant de revenir partager la vie des travailleurs maghrebins à Annecy141. Je les revois tous deux à leur retour. Pendant deux ans, leur succède un prêtre qui part ensuite cinq ans pour Caracas après un stage de trois mois à Cuernavaca au centre d’Ivan Illich. Bien que nous soyons originaires du même village, c’est à Annecy que je fais sa connaissance, il me séduit par sa prestance et surtout par sa manière de s’affirmer face à la directrice de l’école qui n’a pas l’habitude qu’on lui tienne tête même quand on est dans son droit, chose dont qu’elle apprécie fort modérément. C’est aussi quelqu’un qui écoute. Lorsqu’il part pour Cuernavaca en février 1968, je lui écris aussitôt : j’imagine qu’arriver dans un nouveau continent dont on ne connaît pas la langue doit être une expérience par moment difficile et j’ai le désir de lui faire savoir que mon amitié l’accompagne dans ces circonstances. Il apprécie mon geste et me répond aussitôt avec plaisir. Notre correspondance dure tout son séjour latino-américain et quand, à mon tour, je traverse une période difficile en classe unique, il m’écrit régulièrement deux à trois fois par mois durant plusieurs mois. Je me rappelle encore le réconfort que j’avais à trouver ses lettres, témoignant de son soutien et de son amitié qui me furent précieux. Ces trois personnes, de vrais Savoyards, donc forcément un peu têtus (dans le bon sens du terme !), avec de solides convictions, aimant la montagne, partent probablement plus pour rencontrer l’autre, le différent, l’étranger, le connaître, nouer des relations d’amitié avec lui, que pour lui apporter leur technique, leur savoir, leur compétence... et la religion. Ils vont “ vivre avec ” et non baptiser à tout va. Etre avec, parler, communiquer, échanger avec plutôt que parler sur ... Qu’étaient-ils et que sont-ils encore pour moi, ces “ curés ” ou “ ex-curés ” ? Que représentent-ils ? Probablement pas la “ religion ”, en tout cas pas l’institution dans ce qu’elle a de rigide, de suranné, de réactionnaire. Dans l’institution ecclésiale “ classique ”, je ne me sens pas à l’aise, les réactions de certains de ses membres face aux problèmes de société me mettent en colère, m’agressent. Je n’y sens pas d’écoute mais j’y entends des jugements, des condamnations, comme à l’école ... Sauf avec ces personnes qui étaient et qui sont dans la vie, qui me permettent de, qui m’autorisent à penser par moi-même .Ce sont, en quelque sorte, mes vrais éducateurs, les premiers thérapeutes qui m’éviteront de sombrer dans la dépression familiale, qui me donneront le goût du bonheur malgré les difficultés, et la foi en la vie et en la personne. Toutes m’ont aidée à grandir à des moments particuliers de mon existence. Au début de ma vie professionnelle, je rencontre aussi Henri, dominicain, parisien d’origine aristocratique, travaillant alors à la DASS d’Annecy, homme de conviction, de détermination, passionné de justice, avec ce souci des pauvres, des écrasés. Il dénonçait les exactions de la police à l’égard des clochards, l’exploitation éhontée des travailleurs immigrés par certaines entreprises, un certain nombre de manières de faire de l’institution ecclésiale. En outre, il dégageait une réelle joie de vivre. La vie, avec lui, n’était ni terne, ni triste et ne manquait pas d’imprévus. C’était, là aussi, l’apprivoisement des différences. Bien évidemment, il dérangeait, les pouvoirs en place ne l’appréciaient guère142 ... Lire dans Le Monde ou dans les hebdomadaires nationaux des articles sur certaines pratiques policières, ou patronales dans certaines villes touristiques de la Haute Savoie faisait “ désordre ”, ternissait quelque peu leur image de marque. Mais, moi, je me retrouvais sur leurs valeurs qui sont miennes, qui me constituent. Même si, depuis mon retour d’Algérie, je me suis retrouvée bien moins impliquée dans les circuits militants pour un certain nombre de raisons, il me reste cette “ inquiétude ” de l’autre, ce souci, cette préoccupation, ce désir de rencontrer l’autre, de le connaître, de partager avec lui, et cela ne me vient pas de l’école.

Notes
141.

C’est en souvenir de lui que j’ai écrit à la mairie de mon village d’origine pour lui demander d’effacer une inscription injurieuse peinte par des racistes à l’encontre des travailleurs maghrébins.

142.

C’est lui, au Brésil depuis maintenant plus de vingt ans, dénonce les tortures et les assassinats commis sur les paysans d’Amazonie et les personnes qui les soutiennent par les grands propriétaires terriens. C’est lui qui, pour la première fois en juin 2000 est parvenu à en faire condamner un ...