II. Ma formation à l’école normale

II. A. Ce qu’elle est

Je ne peux pas dire qu’elle m’ait donné le “ virus ” de la recherche, de l’expérimentation et de la réflexion en éducation, termes qui paraissent presque incongrus en ce lieu de formation pédagogique. En formation professionnelle, j’écoute les cours sans en voir nécessairement les liens avec la pratique. J’ai le sentiment de voir, au cours des démonstrations, des élèves parfaits, que je ne retrouve pas en stage. Je n’ai pas le droit d’innover mais je dois suivre, reproduire les manières de faire et les manies du  maître d’application . Je me souviens encore du texte d’une leçon modèle de lecture préparée par une maîtresse de classe d’application pour le cours préparatoire sur le “ c ” : “ ‘Le coq est dans la cour. Il a une crête écarlate. Il a des plumes multicolores. ’” A quoi peuvent bien correspondre ces deux adjectifs pour des enfants de six ans qui, en ville, n’ont peut-être jamais vu un coq de près, sinon dans un emballage de cellophane, éviscéré et prêt à cuire ? Quelle est l’originalité de ce texte ? Permet-il le rêve ? Quelle image donne-t-il de l’oeuvre littéraire ?

Je me suis toujours demandé pourquoi j’avais gardé aussi peu de souvenirs des cours de l’école normale avant le baccalauréat mais surtout après, alors que, théoriquement, ils auraient dû nous aider à bâtir nos leçons, à organiser nos journées de classe avec les élèves. Il est vrai que je ne suis pas la seule à n’avoir pas fait le lien entre la théorie enseignée et la pratique de la classe. Il est vrai aussi que, bien que n’ayant pas relu lesdits cours, je suis sûre qu’on ne m’a jamais parlé en formation des pédagogies différentes des cours “ classiques ”. Freinet n’existe pas, les pédagogies institutionnelles non plus, la théorie rogerienne non directive pas davantage. On a sûrement évoqué Rousseau mais il me paraît lointain. Et puis, voir les cours que l’on me dispense, répétés à l’identique une année sur l’autre, n’incite pas réellement à la recherche et au questionnement, surtout quand, en classe d’application, il s’agit de reproduire les manières de la maîtresse, ou ses manies, et qu’il est mal vu d’interroger ou de faire d’autres propositions : eux savent ; nous, élèves, ne savons pas. Les élèves-maîtresses questionnant trop, réagissant, ayant des initiatives non conformes aux désirs des professeurs et des maîtres sont plus souvent accusées de mauvais esprit que reconnues pour leur réflexion et leur originalité. Cela m’interroge.

Durant la formation professionnelle, l’enseignant le plus sympathique, celui avec qui j’ai le plus “ d’atomes crochus ”, est incontestablement le professeur de philosophie, avec qui je réalise mon mémoire de fin d’études sur Teilhard. Il est moyennement apprécié de ses collègues parce qu’original, très intelligent et provocateur, mais c’est avec lui que je travaille le plus et avec du plaisir. La philosophie étant une matière à option en formation professionnelle, il suit nos désirs. Il nous donne quelques idées sur Hegel qu’il travaille pour l’agrégation, nous faisons des recherches à propos de la femme d’un point de vue psycho-sociologique, et le lis Le phénomène humain et L’avenir de l’homme. C’est avec lui que les échanges sont les plus libres, les plus agréables et les plus enrichissants. Je le revois après ma sortie de l’école, une première fois alors qu’il est à Grenoble, puis à Paris où il enseigne.