III. C. Les collègues dans la cour de récréation et le rapport à la sexualité

Un collègue masculin devient tout rouge en nous annonçant le troisième accouchement de sa femme. Une autre fois, ils sont tous outrés le jour où un enfant de sept ans apporte des préservatifs pour faire des ballons ! Comment, dans leurs classes, accueillent-ils les questions des enfants sur l’origine de la vie, sur l’amour ? Il est vrai que ces derniers sont de fins psychologues et que, bien souvent, ils savent intuitivement à qui l’on peut ou ne peut pas poser ces questions. Ainsi, le jour où, en sortant de classe, les élèves m’ont raconté qu’ils avaient vu “ ‘deux chiens accrochés ensemble par un bout de tuyau ’”, je les ai incités à en parler avec ma collègue je partais en stage mais ils n’en ont rien fait.

Ces petits faits montrent que les attitudes de l’éducateur à l’égard de la sexualité en général et de la sienne en particulier ne sont pas toujours très claires. Xavier Thévenot écrit à ce sujet :

‘“ Devenir humain, c’est donc, entre autres, reconnaître qu’il n’existe pas d’affectivité asexuée. C’est accepter que le désir humain ne puisse s’épanouir que s’il accepte la dimension masculine ou féminine dominante qui est la sienne. (...) Rien ne doit donner à croire que les sentiments entre un ou une jeune et la personne qui l’éduque peuvent être hors sexe, même (et peut-être surtout) s’ils sont hors expression génitale. 145” ’

Cela nécessite une élucidation au niveau relationnel à propos de la solitude et des désirs de fusion, au niveau érotique : quel est le rapport de l’enseignant au plaisir et, plus particulièrement, au plaisir sexuel ? A quoi la relation avec les jeunes le renvoie-t-elle dans son enfance et son adolescence ? Quel va être son comportement à cet égard : laxisme total, hyper-rigidité, fuite devant la peur d’affronter sa propre réalité ? Enfin, il est bon que l’instituteur sache où se loge son désir de paternité ou de maternité. Les enfants dont il s’occupe ne sont pas sa progéniture, ils ne sont pas le fruit de son amour et, pour une femme, ils ne sortent pas de son ventre. Ils peuvent le prolonger d’une manière indirecte par l’influence qu’il peut avoir sur eux, mais pas d’une manière directe, biologique. L’observation des enseignants à ce sujet est fort intéressante. Si une majorité d’entre eux est claire à ce sujet, ce n’est pas le cas de la totalité. La maturité affective dans le domaine de la sexualité n’est pas le lot de tous. Assez souvent, le regard porté sur les relations amoureuses, ou la curiosité sexuelle des enfants est soit égrillard, soit choqué et jugeant, ce qui déforme la réalité et induit des comportements faussés. La curiosité ou la relation amoureuse précoce, la demande d’information sur l’origine de la vie, sur autrui, deviennent des choses “ sales ”, reléguées aux lieux d’aisance, les informations sont données entre pairs (Voir François Cavanna dans Les Ritals 146) et les informations scientifiques deviennent alors quelque peu fantaisistes. Les cours d’information sexuelle donnés actuellement dans certains établissements scolaires ne répondent pas toujours aux questions réelles des enfants. Les questions qui les tracassent le plus souvent ont plus trait à “ ‘comment vivre avec ses désirs et ses pulsions’ ”, surtout au moment de l’adolescence, qu’à la physiologie elle-même et, dans ce cadre, le vocabulaire a une importance considérable. Trop scientifique, il n’est alors pas le plus approprié ...

Il semble que, encore maintenant, les questions pertinentes posées par Xavier Thévenot ne soient pas prises en compte dans l’Education nationale. Il serait pourtant nécessaire de débloquer la parole des enseignants sur ce sujet, pour aboutir à ce que chacun soit plus à l’aise et plus clair avec lui-même. Il est triste, pour l’éducateur et ses élèves, que l’on ne s’en préoccupe qu’au moment où il y a dérapage.

Notes
145.

THEVENOT (X.) : L’affectivité en éducation, annoncer le Christ aux jeunes, Caen, 2D. Don Bosco, 1988, 52 pages, p. 6.

146.

CAVANNA (F.) : Les Ritals, Paris, Livre de poche n° 5383, 380 pages.