Le premier est celui de l’écoute et de la confiance. C’est nouveau pour moi. Je n’ai entendu parler de la première (mais jamais de la seconde !) en formation professionnelle ou dans les conférences pédagogiques que sur le mode impératif : “ Ecoutez (et faites) ce que je vous dis de faire ! ” Je n’ai jamais vu un professeur d’école normale ou un inspecteur départemental de l’éducation nationale donnant son cours ou sa conférence intervenir à partir des questions posées par les élèves ou les enseignants. Et là, dans ce groupe, l’animateur, en l’occurrence Michel Lobrot, est à l’écoute de chacun des participants, il les aide à formuler leurs demandes et leurs désirs pour le stage, qu’il reformule sans jugement, pour s’assurer qu’il a bien compris. Nous faisons l’expérience d’être écoutés, entendus, compris et acceptés tels que nous sommes. J’utilise volontairement la première personne du pluriel : ce ne sont pas quelques personnes particulières qui sont sollicitées mais chacune d’entre nous ; nous sommes encouragées à nous exprimer mais pas forcées. Cela renforce mes convictions sur l’utilisation de la pédagogie Freinet et, à mon retour d’Algérie, je m’engage dans une formation plus approfondie sur l’animation (à l’époque trois stages de douze jours en résidentiel et un week-end de regroupement sur 14 mois). Au cours du troisième stage, nous avons la possibilité de nous “ exercer ”, si nous le désirons, en animant le groupe de nos pairs et je tente l’expérience. Prévu un matin, un participant ayant fait une demande aux animateurs, ce travail est reporté l’après-midi, avec mon accord. Le temps est lourd, très orageux ; émergent alors des conflits, des jalousies jusque là latents mais non exprimés, et mon expérience d’animation dans ce domaine est très modeste. Je centre donc mon travail sur l’écoute et la reformulation parce que c’est essentiel et que je n’ai pas assez de pratique pour faire des propositions d’exercices adaptées à ce qui émerge et qui concerne essentiellement la sexualité. A la fin de la séquence (environ deux heures), le premier commentaire de Michel Lobrot sur mon travail est : “ ‘Tu as fait là une animation typiquement rogerienne !’ ” qui m’incite à approfondir ce travail. Je demande à observer d’autres stages centrés sur l’expression orale et écrite, ou en piscine centrés sur le corps et la sexualité. J’observe comment, en fonction de la personne, il (et de la même manière les membres de son équipe) fait des propositions diverses à partir d’exercices provenant d’écoles particulières (bio-énergie, gestalt, rêve éveillé, psychodrame, etc.) et les lui adapte (liberté et imagination face aux théories et à leurs applications). J’apprends à utiliser mon ressenti à l’égard d’autrui148 et développe mes capacités d’adaptation. Mais, surtout, je découvre que ces capacités sont miennes, que je peux leur faire confiance et me faire confiance.
Cette confiance faite à autrui, en classe ou comme participant, ne se satisfait pas de l’à peu-près mais augmente au contraire le niveau d’exigence du maître ou de l’animateur à son propre égard. On n’en a jamais fini de réfléchir, de chercher, de modifier, d’adapter. Les satisfactions éprouvées ne proviennent pas d’une “ leçon-modèle ” parfaitement réussie et ré-exploitable mais du développement des personnes acquérant plus d’autonomie, de l’éclair de joie dans leur regard, de leur goût plus affirmé pour le bonheur.
Carl Rogers parle de “ ressenti organismique ”.