VI. C. Des attitudes différentes et leurs conséquences

C’est dans ce cheminement, au cours des stages, des entretiens personnels, et des lectures d’ouvrages que petit à petit, j’affine, approfondis la réalité de la relation éducative. Il est évident tout d’abord que sans ces rencontres, je ne serais pas entrée à l’université pour des études supérieures. Si, au début de ma carrière d’institutrice, j’éprouvais à la fois de l’enthousiasme et une certaine insécurité, la non écoute, l’incompréhension, la rigidité, l’impossibilité d’échanger et les jugements dévalorisants de mes inspecteurs avaient fait retomber le premier et augmenter considérablement la seconde. Je me sentais dans l’incapacité totale de pouvoir travailler, investir la relation pédagogique avec les enfants. Je partais en classe avec une boule au creux de l’estomac tous les jours, j’étais devenue irritable avec un sommeil perturbé, le sentiment que, quoi que je fasse, “ j’avais tout faux ” de la même manière que l’enfant qualifié d’emblée de mauvais élève qui n’a jamais été entendu dans sa problématique et encore moins compris et qui ne reçoit que des remontrances, des critiques dévastatrices. Peut-être cela dénote-t-il quelque fragilité chez moi. Alors que j’avais été une élève relativement bonne, qu’au début de ma vie professionnelle j’étais préoccupée des enfants ayant des difficultés en relation avec leur milieu socio-culturel, voulant leur donner davantage de chances de s’en sortir, j’ai expérimenté de l’intérieur ce dont je me serais volontiers passée et qui ne m’a rien apporté de positif les conséquences de la non écoute et des jugements à l’emporte-pièce. En même temps, j’ai renforcé ma résistance à ces attitudes, je me suis trouvée dans l’incapacité totale de négocier, d’échanger, ce qui s’avère effectivement impossible sans un minimum de confiance mutuelle. J’avais aussi des problèmes de couple, la communication avec mon mari s’avérant difficile et je ne me sentais pas la capacité de pouvoir tout mener de front avec une parfaite égalité d’humeur. J’ai donc demandé ma retraite à la naissance de mon troisième enfant parce que j’étais physiquement et nerveusement usée, non par les enfants mais par mes relations avec mes supérieurs hiérarchiques, avec le sentiment de me trouver face à un mur, ainsi qu’avec mon époux. Mon souci de l’éducation persistait mais continuer dans ce cadre m’aurait conduite à la maladie.

Je voudrais, concernant “ l’école ”, narrer un dernier petit événement qui me paraît lui aussi révélateur des conceptions de chacun en éducation. C’est peu de temps avant de quitter la Haute Savoie. Je prends contact avec une collègue enseignante pour parler de formation et au cours de notre échange j’évoque des ouvrages qui m’ont paru intéressants. Elle désire les lire. Je les lui laisse pour un mois, je travaille dessus mais, étant plutôt dans les problèmes matériels à ce moment-là, je sais que je ne m’en servirai pas avant d’être installée dans mon nouveau domicile. Quand je pars, les livres ne m’ont pas été encore rendus ..., les vacances de printemps sont là et je laisse un nouveau délai : c’est peut-être plus facile de lire durant les vacances qu’en période scolaire. Sauf que je rappellerai régulièrement, de plus en plus fermement sans plus de résultat : absente, partie en stage, “ c’est juré je les ai postés... ” jusqu’au moment où je laisse, le premier mardi de juillet vers 18 heures, un message au vitriol sur le répondeur. A peine rentrée, elle me rappelle alors s’excuse et me dit les avoir envoyés la veille, le lundi. Le jeudi matin, rentrant de faire une course, la concierge m’appelle et me donne un paquet envoyé en urgent. Ce sont les livres mais la date d’affranchissement indique : mercredi 4 juillet, et sous l’emballage en papier kraft, les ouvrages sont enveloppés dans une partie du journal L’Equipe daté du mardi 3 juillet... C’était pourtant une collègue que je pensais fiable, sérieuse et c’est la raison pour laquelle j’avais accepté de lui prêter mes livres. Mais quand j’entendrai des propos fréquents dans la bouche de certains enseignants se lamentant sur les élèves à qui on ne peut faire confiance, qui racontent des bobards à la maîtresse pour masquer un oubli, je penserai que bien souvent ils “ sont à bonne école ”. Pour que l’enfant se révèle fiable, responsable, tienne parole, il faut aussi que l’adulte le soit.