VIII. Conclusion

Les expériences et les événements heureux de mon histoire m’ont permis d’intégrer des valeurs qui me font vivre, dans les domaines des relations humaines, de la communication, et du travail intellectuel notamment. C’est une vérification de ma première hypothèse. Mon ouverture, mon sens de l’écoute, mes capacités relationnelles, mon goût pour la lecture, l’introspection, mon désir de chercher, de comprendre, se sont développés grâce aux relations privilégiées établies avec certaines personnes, “ modèles ”, qui vivaient ces valeurs avec bonheur. C’est mon vécu de plaisir et de liberté qui m’a permis ces acquisitions, et non des injonctions et des méthodes coercitives

En revanche les relations difficiles m’ont fragilisée ; les blessures ne sont pas toutes guéries malgré le travail psychologique, important, réalisé : elles m’empêchent, encore maintenant, de m’affirmer pleinement, alors que je suis dans des conditions plus favorables. J’ai toujours horreur de la physique et du ski, je n’ose pas m’exercer à parler l’anglais, appris tout au long de ma scolarité secondaire, alors que j’ai d’assez nombreux amis venant de différents pays étrangers ... Eux parlent ma langue et j’ai peur de parler anglais avec les Anglosaxons ! Et que dire des autres qui pratiquent couramment deux ou trois langues ! Il m’a donc fallu de longues années pour retrouver quelque foi en mes compétences. Les évaluations, pourtant très positives, obtenues pour mon travail de D.H.E.P.S. et de D.E.A. n’ont pas suffi à me rassurer. Tout en les sachant méritées, une partie de moi n’arrivait pas à “ y croire ” et les attribuait à la sympathie des professeurs à mon égard. Il m’a fallu lire la thèse d’un collègue instituteur, venu me voir sur les conseils d’Alain Mougniotte, et dans laquelle j’ai retrouvé mentionnés et utilisés mon travail de D.H.E.P.S., les références des lectures que j’avais conseillées, et ma manière de pratiquer les entretiens pour qu’enfin je puisse “ croire ” davantage aux évaluations de mon travail. Il n’empêche que je suis toujours fragile de ce côté-là. Les humiliations, la non écoute au cours de ma vie scolaire et professionnelle ont laissé des traces patentes ... Et ce handicap, que j’ai le plus grand mal à dépasser, me vient en partie de ma famille mais aussi, et surtout, de l’Ecole ... même si reprendre un cursus universitaire plus de vingt ans après l’avoir quittée peut être considéré comme le signe d’une certaine vitalité intellectuelle. Et, à la différence de l’enfant en difficulté, j’ai la possibilité de peut-être mieux mettre en mots une expérience semblable à la sienne, et celle d’être crue ... Cela vérifie les deuxième et troisième hypothèses.

Je ne pense pas être originale de ce point de vue existentiel. Et cela m’interroge encore plus sur ce qu’est la relation éducative, ce qui la favorise et ce qui la perturbe. Analyser le parcours intellectuel et personnel de mes collègues instituteurs, pour repérer ce qui les a stimulés ou au contraire handicapés dans leur profession m’apparaît alors particulièrement important pour évaluer si la formation proposée répond, sur le plan relationnel, aux besoins des populations fréquentant l’école : les enfants d’abord mais aussi leurs enseignants. Si l’on veut que l’Ecole soit un lieu de culture et d’épanouissement mais, qu’aussi, elle contribue à compenser les différences, il faut, au minimum, que les maîtres qui l’animent puissent y développer leurs compétences, soient dans une dynamique d’ouverture, d’accueil vis-à-vis des élèves et pas sur la défensive. Donner le goût de la culture, de la recherche, de la relation, du travail bien fait nécessite une mise à distance de ses propres difficultés, ce qui est différent de leur ignorance ou de leur méconnaissance. En outre, une connaissance purement intellectuelle est généralement sans effet sur une problématique existentielle, ce que l’on a du mal à accepter dans le cadre institutionnel de l’Ecole.