II. D. Naissance d’un questionnement

Plus que les inspectrices, il semble que ce sont les dix années partagées avec ses deux collègues qui ont aidé Claudine à devenir une “ vraie institutrice d’école maternelle ”, ce qu’elle révèle en évoquant les deux années où elle travaille dans une école maternelle avec une directrice dont les conceptions du pouvoir tiennent davantage de la dictature non éclairée que de la démocratie et du respect des personnes : “ C’était l’horreur (deux fois). On n’avait aucun droit (répété), on n’avait qu’un seul droit, c’était de faire la classe et puis de se taire ... Interdit de passer un coup de fil même si c’était d’ordre professionnel ”. C’est non seulement la dictature mais aussi le sadisme : “ une directrice qui était terrible, qui mettait les enfants tout nus sur les lits pour leur montrer que c’était elle la chef et qu’on avait pas à lui tenir tête ”.  Cette dernière formulation ressemble beaucoup à la description correspondant à une inspectrice. Et de la même manière, Claudine et ses collègues vivent mal cette situation et se réfugient parfois dans les toilettes pour pleurer. Y a -t-il eu, dans cette école, des actions pour contrer ces abus de pouvoir inqualifiables ? Cela n’apparaît pas dans les propos de Claudine qui s’interroge : “ Un moment, je me suis demandé si j’aurais pas dû téléphoner à la DASS ou ... parce que je trouve que ça, c’est inadmissible ”. Ces paroles révèlent aussi un sentiment d’injustice. Ce ne seraient pas tous les enfants qui subissent des actes humiliants de la part de la directrice : “ A dire : tiens, ça c’est un enfant de prof, ou un enfant de bijoutier ... et puis ça, c’est un enfant d’arabe, alors y a tout de suite deux poids, deux mesures, hein ! Et moi, je suis une institutrice de tout le monde, des pauvres comme des riches, des malheureux comme des heureux ”. Dans cette école, les enfants des milieux défavorisés subiraient donc davantage les exactions. Claudine se situe à l’opposé de ce genre d’attitude : “ Au contraire on peut aider ceux qui en ont besoin ” et privilégie la qualité des relations humaines.

Les réactions et les sentiments de Claudine face aux situations diverses vécues à l’école : avec les inspectrices et conseillères pédagogiques et la directrice “ sadique ” d’une part, avec la directrice et sa collègue de maternelle durant dix ans d’autre part, correspondent aux recherches faites par Serge Moscovici relatées dans Psychologie des minorités actives 183, et à celles de Juan Antonio Pérez et Gabriel Mugny dans Influences sociales, La théorie de l’élaboration du conflit 184. Ces recherches montrent que les personnes qui nous influencent ne sont pas celles qui font pression autoritairement, voire abusivement sur nous. Même si, apparemment, nous sommes plus ou moins obligés de nous conformer à leurs désirs, nous y résistons de toutes nos forces psychologiquement. En revanche, face à des personnes qui nous écoutent et nous respectent, nous ne sommes pas sur la défensive, nous ne résistons pas et sommes prêts à envisager leurs suggestions, leurs façons de faire de manière positive. Claudine le confirme elle-même : c’est la maîtresse qui accueille “ gentiment ” les enfants arrivant en maternelle pour la première fois qu’elle va “ copier ”, en qui elle va “ se retrouver ”, qui l’influence le plus fortement et qui lui permet en outre une certaine affirmation d’elle-même. Nous n’en avons pas parlé ensemble, mais il est fort possible que les obligations des inspectrices et conseillères pédagogiques n’aient été suivies que dans la mesure où Claudine les a vues mises en oeuvre chez cette collègue ...

Notes
183.

MOSCOVICI (S.) : Psychologie des minorités actives, Paris, PUF, 1979, 275 pages.

184.

PEREZ (J.-A.) : Influences sociales, La théorie de l’élaboration du conflit, Neuchâtel (Suisse), Delachaux et Niestlé, 1993, 244 pages.