Mais, si elle a vécu ses relations avec sa mère d’abord, avec ses inspectrices ensuite, comme victime, Claudine, probablement à cause de ce vécu, et à la fois pour ses propres enfants et ses élèves, décide de participer aux stages sur la maltraitance. “ ‘moi la semaine prochaine, je pars pour mon deuxième stage sur l’enfance maltraitée. C’est quelque chose qui m’intéresse et je le fais savoir. J’ai fait un mot aux parents en leur disant : je vais en stage sur la maltraitance, sur les enfants maltraités. Je le fais savoir de façon à ce que les parents ou d’autres personnes soient bien au courant que nous on est averti, on est un public averti, on reste pas insensible à un enfant à qui il manque des cheveux sur la tête ...’ ” Elle s’exprime alors sur un ton plus affirmé, d’une manière plus tonique, plus ferme. Sous la petite fille écrasée, pointe la femme adulte et responsable qui n’a pas l’intention de laisser maltraiter les enfants dont elle est responsable. Mais le travail à réaliser est loin d’être terminé. Partir à la recherche des souffrances vécues dans l’enfance afin de s’en libérer, de pouvoir écouter l’autre, est difficile. Bien qu’ayant fait, dans le cadre de sa formation, deux analyses, et ayant des patients en thérapie, Alice Miller ne retrouve les sentiments de son enfance qu’à partir du moment où elle se met à peindre :
‘“ angoisse, désespoir, solitude totale ”. A propos de sa mère, elle écrit : “ Seul le souvenir réel, inscrit dans son corps, et non pas seulement fantasmatique, d’une mère qui l’aurait aimée elle-même aurait pu être plus fort que la tentation de se défendre de sa propre misère intérieure à l’aide du pouvoir exercé sur son enfant. Mais ma mère n’avait pas ce souvenir, car elle-même n’avait pas reçu d’amour. Elle avait été élevée avec des grands mots, des mots sur l’amour, la morale, le devoir, et elle n’était jamais à court de mots, alors que l’expérience de l’amour lui faisait défaut ”185 .’Claudine aidera efficacement les enfants à la condition d’avoir pu prendre quelque distance avec sa propre histoire. Les stages sur la maltraitance, l’échange que nous avons eu “ ça fait du bien d’y mettre dans la boîte ” sont un début de reprise en main d’elle-même, mais seulement un début.
MILLER (A.), Images d’une enfance, Aubier, 1987, pp.16 et 13.