Chapitre sept
Transformer positivement les expériences négatives

Troisième hypothèse : En revanche, ces mêmes expériences et événements négatifs, s’ils ont été “ digérés ” (c’est-à-dire revisités, revécus émotionnellement, s’ils ont été source d’une meilleure compréhension, de croissance, bref si du positif s’y est introduit), suscitent une attention plus vive à autrui.

Nous l’avons vu, notamment dans le chapitre “ La théorie psychologique des émotions ” élaborée par Michel Lobrot, qu’elle se trouve confortée par les recherches actuelles en neurobiologie et en psychologie, que les expériences vécues de manière négative retentissaient sur la personne entière. Un comportement humiliant par exemple n’a pas des conséquences uniquement sur le psychisme de celui qui le subit mais aussi sur son corps. Les émotions ressenties alors : colère, honte, impuissance, mépris bloquent certaines sécrétions, en favorisent d’autres, accélèrent ou ralentissent les battements de son coeur et sa circulation sanguine, contractent certains muscles, etc. C’est donc l’organisme tout entier aux niveaux biologique, intellectuel, émotionnel qui est perturbé et qui réagit. Les conditions dans lesquelles se produit cet événement ainsi que celles qui l’ont précédé sont alors importantes. Supposons que cette personne ait reçu, peu avant, nombre de gratifications qui ont conforté sa bonne image d’elle-même, qu’elle se ressente forte, solide, elle ne se sentira pas alors très affectée. Elle recherchera en elle en quoi, de quelle manière elle a pu contribuer à ce que son interlocuteur en vienne à une pareille attitude. Elle repérera ses propres erreurs et aussi ce qui, chez l’autre, le conduit à ce comportement. Elle fera en quelque sorte la part des choses. Elle aura probablement aussi la capacité de réagir de manière adaptée à ce qui peut apparaître comme une agression plus ou moins caractérisée. Enfin, elle utilisera ce moment comme un signal d’alerte lui recommandant de prêter attention à certains phénomènes, certaines manifestations de ses attitudes pouvant être peu claires, chargées d’ambiguïté, de ce fait mal interprétées, et de celles de son interlocuteur sans imaginer pour autant que cette expérience peu agréable se reproduira régulièrement à son encontre. C’est ce que nous avons découvert avec les souvenirs de Jean, Pierre, Mireille et Cécile.

Supposons maintenant que la personne qui subit ce comportement humiliant soit peu sûre d’elle-même, que sa vie soit triste, qu’elle rencontre peu d’amis, qu’elle n’exerce pas une profession qui la passionne, que les relations avec ses collègues soient difficiles, qu’elle ait le sentiment de ne pas parvenir à vivre quelque chose qui la satisfasse. Le comportement de son interlocuteur aura alors un impact beaucoup plus grand. Il renforcera ses sentiments de mal être, d’échec. Si elle avait auparavant des difficultés d’expression, celles-ci grandiront, elle ressentira une crainte plus grande encore à émettre une opinion personnelle. Peut-être pleurera-t-elle ou, au contraire, manifestera-t-elle de la colère de manière disproportionnée, inadaptée, deviendra-t-elle agressive selon le principe que “ la meilleure défense c’est l’attaque ”, ou, encore, s’évertuera-t-elle à cacher ses émotions et y parviendra-t-elle plus ou moins bien. Mais, ce qui est certain, c’est qu’elle ne pourra être vraiment lucide sur ce qui s’est réellement passé, qu’elle risque de se refermer davantage, d’éviter non seulement des situations exactement semblables mais aussi toutes celles qui, de manière plus ou moins lointaine, pourraient s’en rapprocher. Pour prendre une image, si nous imaginons qu’elle ait eu un accident qui l’ait fortement traumatisée en ce promenant sur une jetée au bord de la mer, non seulement elle évitera ce lieu mais elle ne voudra plus voir la mer, même de loin... Nous avons vu les difficultés de Claudine pour prendre confiance en elle, de Marc ne se sentant pas reconnu à sa juste valeur, de Gérard angoissé par le monde extérieur, la vie actuelle, d’Eliane ne parvenant pas à acquérir une image positive d’elle-même.

La même chose se passe pour un enfant (ou un adulte) qui commence un apprentissage, par exemple la lecture. S’il éprouve des satisfactions dans les débuts, s’il se sent encouragé, stimulé, reconnu dans ses efforts et dans ses progrès, il y a de fortes chances que la lecture devienne une activité fortement investie, qu’elle lui procure des satisfactions et un plaisir qui renforceront son désir et le rendront curieux et insatiable. Si, au contraire, il éprouve des difficultés, si, à la place d’encouragements il reçoit des appréciations négatives, désobligeantes, méprisantes, si ses efforts ne sont pas reconnus et que, de plus, cela se répète et dure un certain temps, cet apprentissage a fort peu de chances, même repris de façon adéquate, d’aboutir à des résultats satisfaisants pour l’enfant. La lecture fera naître en lui des émotions négatives : humiliation, sentiment de nullité, d’incompétence, réactions de révolte ... qui envahiront son psychisme et l’empêcheront de se mobiliser et d’être disponible. En outre des réactions physiologiques accompagneront ces émotions : sensations de paralysie, vertiges, boule au creux de l’estomac, etc. Un travail psychothérapeutique peut être entrepris dont le but sera de permettre à l’enfant de faire une expérience proche de la précédente mais générant des émotions positives qui contrebalanceront les négatives vécues dans la situation précédente. Voyons donc ce qui s’est passé dans un secteur particulier avec Claudine et Jean que nous avons déjà rencontrés, ainsi qu’avec Nadine et Simon.