Claudine et Jean

I. Claudine, un problème d’esthétique

Claudine se souvient nettement de ses deux maîtresses de primaire. En CP, “ J’avais une maîtresse qui était très très gentille. Je me rappelle de cette première maîtresse qui était, qui était vraiment une gentille maîtresse. En plus elle était belle. Et je trouve que ça avait, à mes yeux c’est un souvenir, en plus elle était belle ma première maîtresse ”. Elle ne parle plus de beauté à propos de ses enseignants mais cela se trouve être une qualité importante pour elle parce que cette institutrice l’initie au monde de l’école, et qu’à la beauté est liée la gentillesse. Il semble en outre que, quand elle parle de sa mère, Claudine ne l’a jamais décrite par son esthétique. Avait-elle une apparence plus “ ordinaire ” ? Nous ne le savons pas. En revanche, pour son premier contact avec l’école, beauté et bonté sont incarnées par la même personne.

C’est aussi quelque chose qui la touche de près. Ayant dû prendre beaucoup d’antibiotiques durant son enfance pour des raisons de santé, ces médicaments lui colorent trois incisives en marron-jaune : “ Je n’ai plus voulu rire (répété deux fois) parce que c’étaient les dents de devant. Et ça, c’est terrible ”. Après la naissance de son fils, elle a vingt-neuf ans son mari l’incite à consulter le dentiste en qui elle a confiance et ce dernier lui explique son travail. “ Je suis repartie, j’avais de jolies dents blanches. Pendant une semaine, je me regardais, je faisais que me regarder dans la glace ”. Ce ne sont pourtant que les dents provisoires. Puis il lui pose les dents définitives, “ les vraies, les belles ”. Le résultat est extraordinaire pour Claudine au niveau non seulement esthétique mais psychologique : “ Ça me fait comme l’impression qu’on m’a enlevé un voile devant la figure. Et j’ai pu m’exprimer, sourire, avoir du plaisir. Et c’est vrai que c’est depuis là que je suis devenue beaucoup plus souriante et avenante aux gens, envie d’une meilleure relation avec les gens ... Ça avait changé ma vie, ça a changé ma vie ”.

Le fait que Claudine ait été brutalisée par sa mère durant toute son enfance et sa jeunesse, l’abus qu’elle a subi, concourent à la refermer sur elle-même, à augmenter sa timidité. Le traitement antibiotique qui lui colore les dents de devant en jaune, renforce ces tendances puisque, quand elle se sent à peu près bien, elle retient ses expressions de contentement, ses sourires, à cause des “ vilaines ” dents. La non expression de ces émotions positives lui donne une apparence probablement plus froide, plus distante, elle n’a pas un visage avenant dans la mesure où elle ne sourit jamais et cela est un handicap. Mais en outre, ces sentiments retenus, peu exprimés ne peuvent l’inonder, la baigner, elle ne peut pas les ressentir pleinement. Seuls sont vécus et ressentis totalement les sentiments et les émotions négatifs. Le traitement orthodontique permet enfin l’expression et l’approfondissement des ressentis agréables. La jolie dentition qui peut enfin se montrer offre à Claudine un choix d’expressions émotionnelles mimiques de plaisir, sourires qu’elle s’interdisait auparavant. Ces expressions devenues possibles de bien être, de contentement se renforcent intérieurement, l’enrichissent, lui donnent un certain goût du bonheur, une meilleure image d’elle-même. Peut-être, d’une certaine façon, se rapproche-t-elle de l’image de la “ belle et gentille maîtresse ”.