Conclusion de la deuxième partie

J’ai interrogé, il est vrai, un assez petit nombre d’enseignants mais ils paraissent tout de même révélateurs de la situation actuelle. Il semble que les bons souvenirs révèlent des moments, des rencontres vécus dans le plaisir, la détente et constituent un socle sur lequel s’enracineront des attitudes positives à l’égard de leurs choix professionnels et personnels. Il est possible de les lister : écoute, compréhension et confiance dans les enfants, adaptation à leurs besoins, stimulation de leurs capacités, facilitation de leur expression et de leurs désirs. En revanche, leurs souvenirs douloureux encore très prégnants laissent non seulement des cicatrices mais surtout des handicaps non comblés qui retentissent dans la pratique pédagogique et les relations au sein du milieu scolaire. Cela me permet une métaphore écologique.

Le gland, enfoui dans une terre riche, peut à la fois s’enraciner et se nourrir ; il va grandir, se développer, étendre ses ramifications, devenir, au fil des années, un chêne majestueux sous lequel on peut se reposer ; il peut aussi fournir un bois de qualité. S’il tombe au contraire dans un milieu hostile, battu par les vents, au sol pauvre, si ces conditions ne le détruisent pas, l’arbre sera tout de même tordu, rachitique, avec des noeuds, un feuillage clairsemé, faiblement enraciné et à la merci du premier coup de vent un peu fort. Il donnera moins d’ombre en été et son bois de mauvaise qualité sera difficile à travailler.

Il est tout de même possible d’enrichir le milieu à l’aide d’engrais, de drainer le terrain trop humide ou d’apporter de l’eau en période de sécheresse ... et l’arbre prendra de la force. Mais on ne redressera pas le tronc et la qualité du bois laissera toujours à désirer. C’est la vie et il en est de même pour les enfants, leurs enseignants et l’éducation.

Dans les revues pédagogiques, au niveau de la recherche aussi, la remédiation est souvent évoquée pour compenser les handicaps d’origines diverses et cela, qui correspond à l’engrais, au drainage ou à l’apport d’eau à notre chêne, est très bien. Mais, bien souvent aussi, l’école augmente les difficultés et, pire, les provoque ... Le plus souvent l’enfant arrive à l’école maternelle puis au cours préparatoire avec de nombreux désirs : lire et écrire notamment et, au bout de quelques mois, une année ou deux, il a, pour un certain nombre d’entre eux, intériorisé l’idée qu’il est “ nul ” ... S’il est vrai que la famille et le milieu ont leur responsabilité, l’école a aussi la sienne. Tout d’abord, “ autrefois ” les instituteurs étaient sélectionnés uniquement sur leurs compétences intellectuelles : il s’agissait de réussir un concours où n’étaient testées que ces dernières. C’est probablement pour cela que se glissaient de temps à autre dans la profession des personnes sadiques et/ou perverses (et pas uniquement sur le plan sexuel). Qu’en est-il du recrutement actuellement ?

Ensuite, la formation intellectuelle et psychopédagogique était donnée sous forme de cours magistraux accompagnés de stages où il était fortement conseillé de reproduire les manières de faire des maîtres d’application. Que ce soit au niveau de la connaissance de soi, de celle de l’enfant, des pratiques, il n’était pas prévu de partager ces vécus, il s’agissait davantage de “ reproduire ”, ce qui d’ailleurs ne choquait pas les futurs maîtres. Eux aussi, pour se rassurer, “ copiaient ” le maître d’application ou celui de leur enfance qui leur avait laissé un bon souvenir. “ Imaginer ”, “ inventer ”, “ s’adapter ” étaient des concepts qui n’avaient pas cours à l’école normale, “ partager ”, “ se confronter ” et “ communiquer ” non plus. De plus, on parlait éventuellement de l’affectivité des enfants mais guère de celle des enseignants ... Il est vrai qu’on la considérait reléguée au domaine privé bien qu’existaient dans les classes des enfants communément appelés “ têtes à claques ”. “ L’amour réciproque de l’éducateur et de l’éduqué ”, évoqué par Gaston Mialaret, sous de forme de “ devoir ” du maître à l’égard de l’élève était malheureusement pour certains enseignants et/ou élèves, davantage de l’ordre de la théorie lointaine que de la pratique quotidienne188. Qu’en est-il actuellement ? Hormis une formation intellectuelle nécessaire, quelle formation à l’écoute de soi et des autres, à la connaissance de soi et des autres, à la relation, à la négocviation donne-t-on aux futurs professeurs des écoles, sachant que cela ne s’apprend ni dans des cours magistraux, ni dans des livres (même s’il est fortement conseillé de lire), mais dans les interactions en groupe ?

Enfin, tout au long de cette formation initiale, et aussi au cours de la carrière, quels espaces d’écoute a-t-on aménagé pour que les instituteurs-professeurs des écoles (et aussi les autres enseignants) puissent parler de leurs difficultés d’ordre relationnel et/ou pédagogiques réveillant parfois un ou plusieurs épisodes d’une histoire perturbée et perturbante retentissant au gré des événements vécus dans et hors la classe ? Bien sûr, certaines problématiques compliquées nécessitent un travail psychothérapeutique important qui n’est pas du ressort de l’institution. Toutefois, un travail de sensibilisation peut alerter les étudiants sur leur fonctionnement, les interroger sur leurs désirs réels et notamment ceux qui concernent l’éducation, éveiller leur vigilance sur ce qui se passe au cours de ces relations d’un type particulier qu’ils seront amenés à vivre dans leur profession. Ce qui peut les confirmer dans leurs choix, ou les inciter à en faire d’autres pour leur bonne santé d’abord, et celle des enfants ensuite ... Ce sera l’objet de la troisième et dernière partie.

Notes
188.

MIALARET (G.), Pédagogie générale, Paris, P.U.F., 1991, 598 pages.