A propos de la formation, Alexandre Lhotellier écrit aussi :
‘“ C’est un éveil à l’attention permanente, le développement d’une recherche des significations pour mieux fonder l’action quotidienne (et non pas se contenter d’empirisme, ou succomber à l’activisme, ou prôner le pragmatisme). 198”’et
‘“ Se former n’est pas plus passivité que contrainte (copie conforme, qu’on forme). Trouver sa forme, c’est-à-dire son dynamisme propre – produire notre forme originale – unique. Et par là même travailler au sens collectif. Toute forme suppose en effet la reconnaissance des différences, c’est-à-dire lutte, dialogue, travail. 199”’Ces deux buts paraissent fondamentaux pour toute personne s’occupant d’éducation, a fortiori, pour de futurs professeurs des écoles. En effet, si l’on veut que l’enseignement dispensé porte des fruits à long terme, si l’on veut, par exemple, que des apprentissages fondamentaux qui permettent la vie en société soient réellement intégrés, c’est-à-dire que l’apprenant puisse les mobiliser facilement selon ses besoins, il est essentiel que ces apprentissages tiennent compte de la personne enseignée dans sa totalité, avec sa problématique, ses difficultés, ses richesses, ainsi que de la personne enseignante. Le futur professeur doit donc apprendre à prêter attention à autrui et à lui-même. Les signes de malaise, d’inconfort, de réaction plus ou moins agressive révèlent une difficulté particulière, ceux de contentement, de plaisir, d’enthousiasme, un dynamisme prometteur, mais tout cela demande une grande vigilance à soi et une attention constante à l’égard d’autrui. Vigilance et attention ne sont pas des grâces particulières d’état, qui nous seraient données dès que l’on embrasse une profession d’éducation. Les acquérir, les développer est un travail qui nécessite un questionnement perpétuel de ce qui se vit, de ce que nous vivons ensemble. Dans la relation d’éducation, d’aide, de cure, qu’il appelle “ interexpérience ”, chacun, éducateur et éduqué, thérapeute, écoutant et patient, client -, fait son expérience de la relation, chacun prend conscience de son mode d’acquisition et de ceux des autres, différents mais non contradictoires, de ses références diverses et des multiples expériences de tous qui enrichissent le groupe et les personnes.
Le climat (amour, indifférence, haine) dans lequel se produit l’interexpérience est très important. Si nous sommes dans une situation d’éducation (ou d’aide), au-delà de l’apprentissage lui-même, surgissent la question de l’être au monde, du sentiment d’exister , et l’angoisse de solitude face au monde, aux autres qui détermine souvent deux aspirations. La première est “ la fusion du moi à l’ensemble mélangé ” qui se retrouve souvent dans les stages interprofessionnels de dynamique de groupe, l’autre “ le refuge dans l’unidimensionnel ” ou
‘“ fusion dans l’identique ”. Tous pareils. L’unité donne l’illusion de la force et de la sécurité. Dans les deux cas, la conséquence est la perte de l’identité, la disparition du Je, l’inexpression. La seule issue est dans la différence. ”200 ’Cette seconde aspiration semble se retrouver souvent dans le cadre de l’école, du côté des enfants comme de celui des maîtres. Il n’est pas toujours facile pour les premiers d’affirmer leur différence surtout si elle ne résulte pas d’un choix personnel mais est constitutive d’eux-mêmes, comme la couleur de la peau, un handicap particulier, etc. Ce ne l’est pas davantage pour les seconds qui ne voient pas – certains – la richesse de l’hétérogénéité dans les classes par exemple : “ Je ne veux voir qu’une seule tête ”, “ pas de classes à plusieurs niveaux ”, “ il faut mettre les surdoués ensemble ”, “ il faut des classes spéciales pour les déficients intellectuels, les enfants caractériels ”, etc., ou qui ont peu de marge de manoeuvre pour assumer des choix pédagogiques différents face à des collègues qu’ils insécurisent simplement par leur manière d’être et de se situer. Pourtant, c’est dans la différenciation que chacun trouvera son espace, son identité, son être, séparé des autres mais avec les autres dans l’originalité et la singularité.
LHOTELLIER (A.) : “ La formation en question ” in I.F.E.P.P. : Formation 1 quelle formation ?, Paris, petite bibliothèque Payot, 1974, 199 pages, p.54
LHOTELLIER (A.) : “ La formation en question ” in I.F.E.P.P. : Formation 1 quelle formation ?, Paris, petite bibliothèque Payot, 1974, 199 pages, p.58.
HONORE (B.) : “ Formation professionnelle et/ou personnelle dans les activités d’aide et d’éducation. L’interexpérience du changement ”in IFEPP-FORMATION 3 : Formation professionnelle et/ou personnelle, Paris, Payot, 1975, 198 pages, p. 90.