II. D. L’école, lieu de changement, d’évolution, d’agrandissement d’autrui

Le problème de l’Ecole vient de ce qu’elle est aussi un lieu de changement, d’évolution, d’agrandissement d’autrui. L’enfant qui y vient, en cours préparatoire par exemple, a peut-être le désir d’apprendre à lire, (ou à compter), il ne sait pas encore ce que recouvre cette activité de lecture, les moyens qu’il faudra mettre en oeuvre, les attitudes qu’il faudra acquérir pour y parvenir. Si projet il y a, ce dernier est flou, peu précis. Si le désir est en outre vague, peu déterminé, il s’agit de l’enraciner pour que l’apprentissage puisse se mettre en place correctement. C’est le travail du maître dont le projet est beaucoup plus clair : l’enfant doit savoir lire, mais une réussite réelle correspondrait davantage au fait que l’enfant sache lire, et qu’en outre il aime cette activité, la pratique avec plaisir et sache l’utiliser en fonction des circonstances. Il importe donc, pour l’instituteur, non seulement de se préoccuper du “ programme ” : apprendre à lire, mais aussi et surtout de l’enfant, des enfants, de la qualité des relations qu’il établit avec eux, des émotions qu’il va susciter chez eux et de celles qu’ils susciteront chez lui, donc des relations affectives nouées autour de l’activité proprement dite. Les élèves progressent non seulement parce que la pédagogie leur est adaptée mais aussi parce qu’ils se sentent écoutés, reconnus, valorisés, aimés et que leurs énergies ne sont pas utilisées à résoudre des difficultés d’ordre relationnel avec le maître, qui lui se laisse interroger par ce qui se passe avec eux en classe. C’est un processus dynamique qui concerne enseignants et apprenants. Cela exclut la rigidité, même si les apprentissages demandent de la rigueur et nécessitent la liberté.

‘“ Dans l’obéissance inconditionnelle à la règle qui ” prévoit ” ce qui doit se faire, rien n’est à-venir dans l’activité de ce qui est prévu (...) L’obéissance excluant tout choix, même le choix d’obéir a en commun avec la mort d’anéantir toute possibilité. La différence réside dans ce qu’au temps suivant, elle pourra être mise en question, laissant donc subsister le doute comme possible. ”201

Cela demande l’adhésion personnelle de l’enfant en situation d’apprentissage, donc la construction d’une relation maître-élève qui suscite chez ce dernier un désir réel d’effectuer cet apprentissage. L’efficacité des notes, des sanctions, des menaces, de la coercition est, à ce niveau, très réduite et constitue le plus souvent un handicap qui mobilise une énergie plus utile ailleurs.

Le programme, si cher aux enseignants, dévitalise aussi souvent le temps passé à l’Ecole (et aussi ailleurs) :

‘“ Instants successifs, découpés et enchaînés dans une ‘’raison’’ qui connaît le déroulement. C’est lorsqu’un incident survient, lorsqu’un changement est nécessaire, que l’instant apparaît comme temps vécu et non comme moment d’un programme. Dans la grisaille du temps programmé, un tel instant se détache, chargé de sentiment, fascinant d’angoisse et d’espoir. Il révèle la possible authenticité. ”202

La vie scolaire se déroule-t-elle selon un programme déterminé à l’avance,203 où tout est prévu, ou fait-on en sorte que l’Ecole soit un lieu où surgit le désir, l’imprévu, la créativité, la vie ? Il y a quelque vingt à vingt-cinq ans, circulait un slogan en vogue : “ En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées... ” Les idées ne tombent pas du ciel, elles naissent dans un milieu où, tout d’abord, on a le droit d’imaginer comme on le désire, un lieu où une manière différente de voir les choses, de les faire, est non seulement acceptée mais encouragée, un lieu où on apprécie l’originalité. Si Flemming avait été rigide, il n’aurait sûrement pas oublié des boîtes de Pétri, il n’aurait pas davantage observé ce qui se passait alors dans les boîtes oubliées et n’aurait peut-être pas découvert la pénicilline. Malheureusement à l’école, le programme souvent a peu de failles où puisse se nicher l’imprévu, la curiosité de l’enseignant manque pour en faire des moments de création... et les enfants s’ennuient...

Notes
201.

HONORE (B.) : “ Formation professionnelle et /ou personnelle dans les activités d’aide et d’éducation. L’interexpérience du changement ” in Ifepp-Formation 3 : Formation professionnelle et/ou personnelle, Paris, Payot, 1975 , 198 pages, p.94.

202.

HONORE (B.) : “ Formation professionnelle et /ou personnelle dans les activités d’aide et d’éducation. L’interexpérience du changement ” in Ifepp-Formation 3 : Formation professionnelle et/ou personnelle, Paris, Payot, 1975 , 198 pages, p.95.

203.

Au lendemain de la chute du Mur de Berlin, ma fille, alors en seconde, lève la main durant le dernier quart d’heure de cours d’allemand pour demander à en parler. Le professeur lui rétorque : “ Je ne vais tout de même pas changer mon cours pour ça ! ”