Trois fascicules dans l’académie de Grenoble concernent cette formation204. Au dos de chacun, il est écrit “ La passion d’apprendre ”. A l’intérieur, j’y ai cherché des mots tels qu’écoute, désir, plaisir, développement ... et aussi relevé quels devaient être les acquis du professeur stagiaire205:
‘“ Connaissance des concepts et notions, démarches et méthodes-clefs des disciplines enseignées à l’école primaireBeaucoup d’acquis sont de type intellectuel mais peu concernent la capacité d’écoute et celle d’adaptation à autrui dans sa diversité ... Tout n’est pas à rejeter, bien au contraire mais j’ai le sentiment qu’on met “ la charrue avant les boeufs ”. Dans le chapitre “ Compétences professionnelles relatives aux situations d’apprentissage ”, à propos de la mise en oeuvre d’une de ces situations, il est écrit : “ tirer parti des erreurs et des réussites des élèves ”, et dans celui des “ Compétences liées à la conduite de la classe et à la prise en compte de la diversité des élèves ” il est demandé
‘“ d’être attentif aux réactions des élèves : proposer des substituts aux activités prévues, en varier les modalités, relancer l’intérêt des élèves, savoir [les] situer dans une dynamique des progrès et les responsabiliser, se mettre à [leur] écoute et développer une écoute mutuelle dans la classe.206 ”’Mais de quelle manière, les étudiants vont-ils apprendre comment “ être attentif aux réactions des élèves ”, “ se mettre à leur écoute ” ? Ce n’est pas un apprentissage inné et si, dans leur expérience d’élève, il leur a été demandé de ” faire attention ” et “ d’écouter le maître, le professeur ”, ils ont rarement vu l’enseignant à leur écoute. Il leur est donc demandé de faire quelque chose qu’ils n’ont jamais expérimenté.
Il est aussi significatif de repérer dans ce programme que
‘“ le savoir-être [nécessitant] une mise en confiance physique et psychologique permettant d’accéder au plaisir personnel ... et de déclencher le désir ... :être à l’aise dans son corps, sa voix, etc., aiguiser l’esprit de curiosité, d’ouverture de recherche, mieux communiquer verbalement (...), corporellement 207”’n’était évoqué qu’à propos de la musique ... On évoque tout de même la “ lecture plaisir 208”. Les fascicules de l’étudiant et du professeur stagiaire comportent tous deux un chapitre identique, intitulé “ développement personnel ”, dont voici une partie de l’intitulé :
‘“ Les pratiques proposées par l’IUFM aux étudiants et aux professeurs stagiaires visentPour cela, il leur est proposé des ateliers de pratique artistique, d’autres de pratique informatique, bureautique, des rencontres culturelles, sociales, artistiques, etc., des journées de réflexion (non définies), et des rencontres sportives. J’ai cherché, dans ces programmes, s’il était prévu des moments, des “ espaces d’écoute ”, selon la terminologie de Josette Lesieur et de Bernard Schnoering, où étudiants, professeurs stagiaires et formateurs auraient la possibilité d’explorer avec des intervenants extérieurs ce qu’ils vivent dans leurs différentes situations, d’explorer les émotions qui les animent, les relations avec leurs pairs, leurs supérieurs, les enfants durant les stages, de réfléchir aussi sur leurs apprentissages présents et antérieurs. Mais ce temps-là paraît réduit à la portion congrue. J’ai eu le sentiment que cette formation était en fait très intellectuelle, très technique aussi, et qu’il y manquait quelque chose au niveau de l’ “ être ”, que l’on avait affaire à des cerveaux quelque peu désincarnés, qu’il y manquait une réflexion et des échanges sur soi, sur sa propre manière d’apprendre, sur ce que l’on a envie d’apprendre, sur ce qu’est l’apprendre, sur le désir, la motivation et le plaisir. Les renseignements que j’ai pu obtenir sur les concours de recrutement (Lyon, Lille) ainsi que le classement intitulé “ sur dossier ” à Paris n’incitent guère à davantage d’optimisme. Dans ce dernier cas est fortement privilégiée l’agilité intellectuelle : rapidité dans l’obtention de la licence, licences purement intellectuelles et techniques (mathématiques, sciences, technologie de l’information) : 900 points, mieux évaluées que celles de lettres, de langues, d’histoire-géographie, arts et STAPS : 800 points, elles-mêmes privilélégiées sur d’autres comme la psychologie par exemple : 700 points. Les mentios au baccalauréat donnent des points. Comptent aussi la préprofessionnalisation et un certain nombre d’expériences auprès des enfants, mais cela de manière beaucoup moins importante. Le comportement, l’aptitude à la communication, la capacité de réflexion et la motivation sont évalués au cours d’un entretien uniquement pour les candidats dépourvus de diplôme (mères de trois enfants et plus, sportifs de haut niveau) ou en reconversion (ayant demandé un FONGECIF) ... A Lyon, néanmoins, existe un module de douze heures, non obligatoire, intitulé “ Connaissance de soi et aptitude à la communication ” ...
Josette Lesieur et Bernard Schnoering, qui ont étudié les textes officiels de la maternelle à la terminale, repèrent
‘“ les trois composantes ... (qui) font partie de l’écoute :On pourrait penser que ce problème de l’écoute est réellement pris en compte par l’institution ... En étudiant les textes de plus près, ils découvrent que ces expressions concernent davantage les disciplines dites artistiques ou littéraires que les disciplines scientifiques ..., et plus les élèves que les maîtres, qui ont à
‘“ diriger, animer, réguler (mais pour eux les textes ne parlent pas d’écoute !) 210”’Il y a donc une correspondance entre ce qui est demandé par les Instructions Officielles comme travail des enseignants et le programme de formation de l’académie de Grenoble.
IUFM Académie de Grenoble : Livret de l’étudiant PE1 2000-2001, 71 pages, Livret du professeur stagiaire PE2 2000-2001, 96 pages, et Mémento des stages en établissement du premier degré 2000-2001, 57 pages.
Livret de l’étudiant PE1, p.20.
op.cit. p.22.
Livret du professeur stagiaire PE2, p.43.
op.cit. p.38.
op.cit. p.56.
LESIEUR (J.), SCHNOERING (B.) : Apprendre aux élèves, apprendre des élèves : quels espaces d’écoute ?, Strasbourg, CRDP d’Alsace, 1999, 210 pages, pp. 184 à 187.