Dans les IUFM, le Verbe ne s’est pas fait chair ... Claudine Blanchard-Laville, Suzanne Nadot et leurs collègues ont écrit un ouvrage concernant la souffrance et le malaise dans la formation des enseignants211, en interrogeant particulièrement de jeunes gens et jeunes filles en première et deuxième année, ainsi qu’au début de leur carrière professionnelle. Durant cette première année surtout, ils n’arrivent pas à se situer, ne savent pas s’ils sont étudiants ou en formation professionnelle, vivent difficilement ce qu’ils appellent le “ bachotage ” pour le concours de fin d’année où ils cherchent
‘“ à s’approprier le discours à restituer ”’et sont peu disponibles à la réflexion concernant la pédagogie. Effectivement, alors qu’ils ont tous au minimum un niveau de licence et qu’il leur a fallu faire preuve à nouveau de leurs compétences intellectuelles avant d’être acceptés à l’institut, ils se trouvent encore dans un système de sélection fondé sur cette intellectualisation. Ils ne sont donc pas réellement disponibles pour autre chose, notamment pour s’investir dans leur futur métier, qui dépend de leurs résultats au concours et fonctionnent essentiellement dans l’angoisse. Comme l’exprime Cathy, (entretien relaté dans l’ouvrage sus-cité), c’est “ l’entre-deux ” qui est difficile,
‘“ c’est dur de trouver un équilibre entre les deux ”’la partie “ étudiant ” préparant un concours, et celle de futur professeur. Certains professeurs estiment d’ailleurs que leur première année est en partie perdue en raison de cette préparation.
Mais ils ont réussi et se retrouvent donc réellement en formation professionnelle. Ainsi que le constate Suzanne Nadot,
‘“ la réussite au concours affirme que l’étudiant sait et c’est cela qui lui confère d’ailleurs le titre d’enseignant ”.’Seulement, même s’il fut un bon élève, même s’il connaît assez bien l’école, c’est d’une place particulière, celle d’élève. Il prend alors véritablement conscience que celle d’enseignant est très différente. Il a tendance à penser qu’’enseigner c’est transmettre‘ sans voir les problèmes de relation et de communication qu’il s’agit de résoudre. Ils attendent des “ choses concrètes ”, ont envie d’essayer, d’échanger, de partager, de confronter leurs points de vue, cherchent
‘“ si ce qui est dit sera utile, sous-entendu à leur pratique professionnelle ” ; ’mais ils véhiculent souvent encore beaucoup d’anxiété : si leur nomination ne correspond pas aux niveaux où ils ont fait leurs premières armes, s’ils se trouvent dans des postes de ZEP, si on les affecte à une classe spéciale, si un enfant a des difficultés particulières ... Ensuite, ils trouvent souvent une grosse différence entre une classe d’application et une classe plus “ ordinaire ” ; enfin, ils constatent fréquemment une contradiction entre ce qu’il leur est demandé de réaliser en stage : par exemple de partir des savoirs de chacun, et ce qui est réalisé quand ils sont eux-mêmes en cours...212 Il semblerait qu’on leur demande d’acquérir des attitudes dont ils n’ont jamais expérimenté l’intérêt parce qu’ils ne les ont jamais vu appliquer en tant qu’élèves, étudiants, ou enseignants stagiaires.
BLANCHARD-LAVILLE (C.) : Les enseignants entre plaisir et souffrance, Paris, PUF, 2001, 282 pages.
BLANCHARD-LAVILLE (C.), NADOT (S.) dous la direction de : Malaise dans la formation des enseignants, Paris, L’Harmattan, 2000, 275 pages.
BLANCHARD-LAVILLE (C.), NADOT (S.) sous la direction de : Malaise dans la formation des enseignants, Paris, L’Harmattan, 2000, 275 pages, pp. 173, 192 à 223.