Me trouvant par hasard à Saint-Denis le jour idoine, je suis allée, incognito, à la Bourse du Travail écouter une conférence de Mr. B. le 17/03/2001 sur l’échec scolaire et sa résolution à partir de la lecture. Cette personne, enseignante, militante au G.F.E.N., travaille avec le département de Sciences de l’Education de Paris VIII. Je me suis assise discrètement au fond et j’ai regardé ... Tout d’abord, les enseignants ont dû se faire passer une feuille de présence et la signer. Je peux donc considérer qu’ils étaient dans la même position que des élèves : soumis à une obligation. Il y avait peu de monde dans les premiers rangs mais les derniers étaient pleins. Et je suis sûre que la majorité des collègues présents, surtout au fond, n’auraient pas toléré, de la part de leurs élèves, le comportement qu’ils avaient eux-mêmes durant cette conférence. Il était quasiment impossible de suivre les propos intéressants de leur collègue qui parlait pourtant dans un micro, tellement ils parlaient fort entre eux d’événements qui n’avaient rien à voir avec le thème : beuveries, sport, vacances prochaines, progéniture, etc. En outre, après la “ récréation ”, la salle s’était au moins vidée du tiers des personnes... Ayant signé la feuille de présence, peut-être certains pensaient-ils qu’ils avaient rempli leurs obligations ? Je peux comprendre qu’ils puissent ne pas être intéressés. Après tout, pourquoi pas ? Mais, ce qui est le plus grave, c’est l’hypocrisie qui règne. Il semble qu’il y ait là un malentendu entre l’institution et son personnel, de même qu’il en existera un autre entre l’enseignant et ses élèves. La première veut le bien du deuxième, et celui-ci des troisièmes sans se centrer sur leurs désirs réciproques. Cela n’est pas perçu et génère l’incompréhension. Pourtant
‘“ les malentendus sont au coeur de la vie, et donc aussi de la vie professionnelle ; ce n’est pas un problème, sauf que, dans la situation spécifique d’enseignement, nous venons de le voir, ils entrent en résonance avec les questions problématiques des élèves. C’est bien du phénomène de résonance au sens de la physique qu’il est question ici ; l’amplification peut être telle qu’elle porte aux limites la possibilité de l’exercice de la fonction enseignante. Elle peut amener à déclencher des passages à l’acte ; en tout état de cause, elle transforme la rencontre en un champ où peuvent se déchaîner toutes sortes de violence. Ce ne sont pas des exhortations externes en forme de conseils qui peuvent atténuer ces irruptions et dénouer les rapports de force instaurés. A mon sens, seul un travail psychique de l’enseignant peut l’aider à élucider une partie de ces malentendus pour qu’il puisse se laisser un peu moins surprendre par le phénomène de résonance.213 ”’Les enseignants ne formulent pas ce qui pourrait les aider dans l’animation de leur classe mais peut-être ne le savent-ils pas eux-mêmes. L’institution ne parvient pas davantage à être à l’écoute de son personnel. C’est elle qui détermine les besoins, les axes de recherche, les programmes de formation. En ce qui concerne la conférence elle-même, elle était intéressante, très technique, très précise, ayant comme point de départ des recherches effectuées en classe dans le département. Mais, de nouveau, deux lacunes : tout d’abord, il n’est pratiquement pas fait mention de l’écoute des élèves. Elle existe bien mais dans un contexte très précis. On n’écoute l’élève qu’en relation avec la question que l’on pose à la classe (ou à un élève en particulier). Enfin, le conférencier n’évoque l’investissement affectif qu’à 10 heures 50, (un quart d’heure avant la fin de l’exposé commencé à 9 heures), et uniquement à propos de l’enfant qui écrit. Comme si la lecture n’était pas une activité fortement affectivisée214. Et cette situation peut être rapprochée d’un article paru dans Les Cahiers pédagogiques, qui reprochait à Daniel Pennac d’évoquer essentiellement la lecture-plaisir, sous le prétexte qu’on ne lit pas toujours des textes qui nous plaisent, qu’il nous faut parfois, plus ou moins fréquemment en aborder de plus austères, techniques, ardus. En réfléchissant à cette conférence, je me demande encore ce qu’elle a apporté aux personnes présentes qui, en grande partie, n’écoutaient pas. Il n’y a eu, malgré le travail du conférencier, quasiment aucune information, les instituteurs discutant de tout autre chose, a fortiori aucune formation. J’ai tendance à penser que ce climat est révélateur d’un profond malaise, dû à ce que les enseignants ne se sentent pas reconnus comme personnes à part entière, se ressentent infantilisés, ce qui les conduit à adopter des comportements du même ordre. Ils réagissent de la même manière que les écoliers et empruntent celui de l’institution quand ils sont dans leurs classes. Ils ont été “ gavés ” d’une nourriture “ préemballée ”, “ prédigérée ” dont ils ne ressentaient pas le désir, peut-être même celle-ci leur “ pesait-elle sur l’estomac ”, et ils pratiquent pareillement avec les enfants. L’institution, elle, fonctionne comme si elle savait d’avance ce qui est bon pour son personnel au lieu de partir de ses besoins et, surtout, de ses désirs et de se mettre en situation d’aider à les réaliser. Elle reconnaît essentiellement le côté “ objectif ” de la relation et en oublie le versant subjectif, pourtant fondamental comme le constate Claudine Blanchard-Laville :
‘“ C’est mal poser le problème, un peu comme lorsque l’on pense que professionnaliser des enseignants c’est les aider à éradiquer tout coefficient personnel de leur acte professionnel. 215”’Quelles procédures alors mettre en oeuvre pour qu’ils se sentent concernés, impliqués dans ce qui se passe, pour qu’ils puissent faire une expérience véritable qui les interroge et suscite leur désir de comprendre, de se former, de progresser, au lieu d’obéir passivement en s’investissant le moins possible dans une activité obligatoire qu’ils ne peuvent refuser ou modifier. Les activités réalisées sous la contrainte ne sont guère formatrices, efficaces, que ce soit avec des enfants ou des adultes.
BLANCHARD-LAVILLE (C.) : Les enseignants entre plaisir et souffrance, Paris, PUF, 2001, 281 pages, p. 129.
“ On n’apprend que ce qui nous touche, qui nous émeut, d’une manière ou d’une autre, au niveau corporel, intellectuel, social, affectif, etc. Si quelque chose, personne, objet, idée, situation, activité, etc. ne nous touche pas quelque part, ne nous émeut pas, il n’existe pas pour nous. Et si c’est comme ça, comment pourrait-on l’apprendre ? Comment pourrait-il pénétrer dans notre monde psychique et se l’approprier s’il n’a aucune valeur que nous reconnaissions comme telle, qui motive et attire notre attention ? ” in “ Apprentissage et catharsis ”, Conférence de Kostantinos Bakirtzis, professeur assistant de l’université Aristote de Thessalonique, au IIè Congrès international de l’A.F.I.R.S.E. à Lisbonne en septembre 1998, p.2, publiée dans BAKIRTZIS (K.) : Communication et éducation, Athènes, Maison d’édition Gutemberg, 2001, 375 pages.
BLANCHARD-LAVILLE (C.) : Les enseignants entre plaisir et souffrance, Paris, PUF, 2001, 281 pages, pp. 110-111.