IV. F. La recherche du CRDP d’Alsace

Avec un groupe de collègues du second degré, Josette Lesieur et Bernard Schnoering ont contruit une formation à la demande d’équipes pédagogiques et correspondant à leurs besoins. Elle était dispensée dans le cadre de l’établissement et permettait un va-et-vient constant entre la formation elle-même et le terrain, ainsi que la création d’une équipe motivée qui continuait à se rencontrer par la suite. A propos de l’écoute, deux préalables importants sont signalés :

‘“ L’écoute est piégée si la motivation essentielle est de résoudre la difficulté de l’ “ écoutant ”. Les élèves ne s’y retrouveront pas et déserteront le lieu. (...)
La première étape pour l’enseignant qui voudrait écouter ses élèves est donc de reconnaître qu’il a des difficultés à exercer son métier avec eux. La première étape pour l’équipe qui voudrait mettre en place un lieu d’écoute est de reconnaître ensemble les difficultés. 242”’

L’hypothèse importante, essentielle, est énoncée à propos ,de la formation :

‘“ Puisqu’il s’agit de formations à l’écoute, l’hypothèse, souvent vérifiée, est admise que les enseignants apprendront à écouter leurs élèves en étant eux-mêmes d’abord écoutés. 243” ’

Ils prennent conscience qu’ils ne s’écoutent pas entre eux, reproche qu’ils adressent pourtant souvent à leurs élèves et s’interrogent sur leurs propres capacités dans ce domaine. Un autre problème est aussi soulevé : leur propension à se sentir attaqués dès qu’une parole d’élève est violente, et leur réponse est alors aussi agressive ; cette question est déjà évoquée par Michel Lobrot dans L’animation non directive des groupes. Cette agressivité de (ou des) l’élève(s) peut être une réponse à celle de l’enseignant et il s’agit de le reconnaître et de rectifier les propos, les situations, etc., Elle peut être aussi l’expression d’une souffrance et, dans ce cas, elle ne lui est pas directement destinée mais il devrait alors pouvoir écouter, aider à clarifier et, selon ce qui est révélé, permettre une orientation appropriée. Ce ne sont pas uniquement des problèmes psychologiques d’ordre personnel de l’élève qui suscitent son agressivité ; ce sont tout autant des problèmes d’injustice, de mauvais fonctionnement de la société ou de l’établissement scolaire qu’il fréquente pour ne citer que ces deux exemples. L’écoute, l’aide à la verbalisation et à la résolution de ces difficultés lui permettent d’abord de se sentir reconnu comme personne à part entière, pris en compte dans ses propos, ses remarques ,et de réguler de manière appropriée son expression.

Dans une recension était faite, à partir de ce travail et de l’expression des élèves, des paroles et des comportements des professeurs qui les encouragent ou qui les “ bloquent ” dans la classe. Est apparue primordiale la qualité de la relation. Et, dans les tableaux synthétiques construits à partir de ce travail, les items concernant les paroles et comportements qui “ bloquent ” (32) se sont révélés plus nombreux que ceux qui encouragent (26) ...244 On découvre enfin la finesse des élèves qui “ sentent ”, repèrent, les manques d’authenticité, d’intérêt pour leur personne, d’acceptation, de cohérence et de congruence de leurs professeurs que ce soit dans le dialogue ou dans les comportements245. On ne peut donc qu’  “ être ” et non “ faire semblant ”, ainsi que le signale aussi Claudine Blanchard-Laville246.

Là aussi, la satisfaction des demandeurs était patente. Toutefois, au bout de quelques années, les crédits sont allés sur d’autres postes budgétaires, plus techniques (information que m’a communiquée Josette Lesieur lors du séminaire pour le centenaire de la naissance de Carl Rogers à Paris les 26 et 27 janvier 2002).

Ces formations repérées, qui concernent toutes le second degré (celles de l’IFEPP seules acceptaient des enseignants du premier degré), montrent, par leurs évaluations, une satisfaction notable des personnes qui les ont fréquentées, une amélioration de leurs attitudes relationnelles avec leurs élèves, de la qualité de leur travail, de leur efficacité pédagogique. Organisées par des pairs (sauf à l’IFEPP, institution extérieure) et proposées librement, elles confirment la réflexion du SGEN-CFDT dans son “ Texte sur la formation ” paru dans Les Cahiers du Comité de liaison pour la formation des enseignants n° 1, (1976) :

‘“ Le rapport hiérarchique est contradictoire avec un rapport de formation ”. ’

Une étude sur les fumeurs réalisée par J.M. Falomir, G.Mugny et J.A.Pérez parue en 1993247, constate que les arguments scientifiques contre le fait de fumer n’ont aucun effet sur les fumeurs si on les oblige à arrêter alors que, en règle générale, ils connaissent parfaitement les risques qu’ils courent. C’est le même genre d’histoire racontée sous forme de plaisanterie avec un alcoolique à qui l’on dit que l’alcool tue lentement. “ Je m’en fous, je suis pas pressé ! ” rétorque-t-il. On ne l’aide pas à s’en sortir, on le renforce dans son choix suicidaire. En revanche, la liberté de décision, son respect par les scientifiques permet davantage aux personnes de se sentir concernées, de prendre alors les moyens de limiter ou d’arrêter leur consommation. Il en est de même dans le cadre de la formation, initiale ou continue. C’est chacun qui donne sens à sa propre vie, ce ne sont pas les autres qui le feront à sa place, il n’est pas possible de donner du sens à la vie d’autrui, c’est à soi de le faire...

Notes
242.

LESIEUR (J.), SCHNOERING (B.) : Apprendre aux élèves, Apprendre des élèves : Quels espaces d’écoute ?, Strasbourg, 1999, 210 pages, p. 34.

243.

LESIEUR (J.), SCHNOERING (B.) : Apprendre aux élèves, Apprendre des élèves : Quels espaces d’écoute ?, Strasbourg, 1999, 210 pages, p.35.

244.

LESIEUR (J.), SCHNOERING (B.) : Apprendre aux élèves, apprendre des élèves : quels espaces d’écoute ?, Strasbourg, CRDP d’Alsace, 1999, 210 pages, pp. 100 à 108.

245.

LESIEUR (J.), SCHNOERING (B.) : Apprendre aux élèves, apprendre des élèves : quels espaces d’écoute ?, Strasbourg, CRDP d’Alsace, 1999, 210 pages, pp. 124 à 147.

246.

Blanchard-Laville (C.) : Les enseignants entre plaisir et souffrance, Paris, PUF, 2001, 281 pages, p. 230 : “ ... je suis convaincue que le visage et le regard de l’enseignant, tous ces signes corporels, ne sont en fait que des traductions de l’état psychique interne du mode de lien aux élèves, ce qui implique que les formations qui s’en tiennent à des dimensions physiques instrumentalisées risquent de rater leur cible. ”

247.

PEREZ (J.-A.), MUGNY (G.), Influences sociales, la théorie de l’élaboration du conflit, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1993, 244 pages, chapite 9 : “ Processus de changement et tabagisme ”, pp. 189 à 212.