V. A. 2. Les conséquences d’un démarrage difficile

Il est évident aussi que, parmi tous les enseignants en activité, un pourcentage, difficile à définir mais loin d’être négligeable malheureusement (il serait aussi très intéressant d’enquêter là-dessus ...), ne lit, en quelque sorte, que “ contraint et forcé ”, par nécessité et non par plaisir, des ouvrages pratiques et concrets, les “ livres du maître ” où il est dit “ comment faire ”, et ne s’intéresse pratiquement pas au monde des idées, aux recherches concernant les sciences humaines qui pourraient renouveler leur regard252 ... Lors de la préparation de mon mémoire de DHEPS, notamment, j’ai interrogé un instituteur de classe de perfectionnement qui racontait son expérience douloureuse un début d’année scolaire en grande section de maternelle-CP. La maîtresse de CP, énervée, lui avait fait passer un test en lecture avant de le renvoyer dans le cours précédent ; elle avait fait naître, d’une part un sentiment de haine chez lui, et, d’autre part, l’avait dégoûté de la lecture. Des années après, il n’aime toujours pas lire253. D’autres s’intéressent au le livre en soi, comme objet, la qualité du papier, de l’impression, de l’illustration mais près peu aux idées, aux rêves, à l’imaginaire qu’il véhicule. En même temps, l’acte de lire peut revêtir une composante sensuelle très forte. Ainsi, Jorge Semprun évoque ses premiers émois à ce sujet. Il compare la bibliothèque de son père à l’armoire de la chambre de ses parents, qui contenait les vêtements maternels :

‘“ Dans la bibliothèque, la fascination était tout autre mais tout aussi physique. Mes mains tremblaient tout autant, j’étais transi des mêmes vapeurs charnelles de l’émoi. L’odeur du cuir, du papier, du tabac blond – mon père fumait des Camel – provoquait la même langueur émoustillée. Je humais les pages des livres comme la soie des lingeries maternelles, avec le même désir enfantin, douloureux, de savoir et de possession. 254”’

Comment, donc, donner ce goût, ce plaisir pour la lecture, la recherche, activités hautement intellectuelles. Les enseignants aimeraient que les enfants aient le goût de l’effort pour des activités qui ne leur procurent que souffrances, désillusions, où leur effort n’est pas récompensé mais dévalorise leur propre image ...

Notes
252.

LATRY-ROMAGNAN (F.) : Influence de l’histoire de la personne sur son comportement enseignant, mémoire pour le Diplôme des Hautes Etudes des Pratiques Sociales, université Lumière Lyon 2, 1993, 154 pages.

253.

LATRY-ROMAGNAN (F.) : Influence de l’histoire de la personne sur son comportement enseignant, mémoire pour le Diplôme des Hautes Etudes des Pratiques Sociales, université Lumière Lyon 2, 1993, 154 pages, p. 107.

254.

SEMPRUN (J.) : Adieu, vive clarté..., Paris, Folio n° 3317, 2000, 280 pages pp.48-49.