Pierre

Premier entretien

J’ai fini, il y a 8 ans, ma formation à l’IUFM. J’ai été pas tout à fait novice dans la fonction d’enseignant parce qu’auparavant j’avais été maître aux. et donc j’ai eu une expérience professionnelle dans les collèges, dans les lycées. Donc l’IUFM m’a apporté un petit peu plus de, comment dire, un petit peu plus d’expérience dans le domaine des enfants plus jeunes, mais c’était quelque chose que j’avais connu par ailleurs, m’étant toujours occupé d’enfants, que ce soit au sein de maisons de jeunes, au sein de colonies de vacances ou même ... J’ai aussi un diplôme de maître-nageur et j’ai enseigné pour des scolaires, donc j’avais aussi une autre approche avec des enseignants pour des projets pédagogiques concernant la natation. Donc, c’est vrai que, côté expérience professionnelle, j’avais déjà un vécu assez important lorsque j’ai commencé à enseigner. Les points, on va commencer par les points négatifs, on verra peut-être les points positifs après, les points négatifs, lorsque j’ai commencé mes fonctions, j’ai été nommé sur un poste qui venait d’être créé. Et donc, ce poste était excentré de l’école où je me trouvais, donc les collègues avec qui j’étais censé travailler m’ont tout de suite mis à l’écart. à tel point que je pouvais même pas utiliser la cour de l’école, et j’étais complètement excentré. Comme je faisais pas mal d’activités extrascolaires, j’étais aussi très mal vu par mes collègues en maternelle puisqu’eux ne faisaient rien d’habitude. Donc, par exemple, je voulais monter un projet piscine en maternelle, et on m’avait mis beaucoup de bâtons dans les roues pour monter ce projet. Donc, j’ai eu beaucoup de problèmes avec la personne qui était directrice à l’époque. Et c’est ce qui m’a été le plus pénible puisque, avec les parents, ça se passait bien, avec la municipalité, à cet endroit ça se passait bien, mais avec les collègues de travail, ils faisaient tout pour me casser le travail par dessous. Donc, ça c’était la 1ière expérience que j’ai eue, qui a été assez dure finalement. La 2ème expérience ben, après j’ai eu ma mutation ici, donc sur N., j’ai aussi été en maternelle, donc j’ai toujours fait ce cursus maternelle finalement, hein, sauf au cours des stages où j’ai eu des CM jusqu’aux petites sections, parce qu’on fait tous les niveaux. Quand je suis arrivé à N. donc, là tout le monde était gentil, tout le monde était agréable. Et puis, petit à petit, bon j’avais des problèmes pour me loger, je me suis rendu compte que le logement, qui était normalement le logement de fonction, était occupé par une personne qui n’avait aucun droit là-dessus, ça avait même pas été passé au conseil municipal. Et donc, au bout de deux ans de discussions avec la municipalité, voyant que rien ne se passait, j’ai été obligé d’entreprendre une action en justice pour obtenir le logement que j’occupe actuellement. Donc, la mairie a fait de grands discours qui étaient : “ L’avenir c’est vos enfants ”, et d’un autre côté, y a rien qui se passait. Mais vraiment, rien du tout. Et les bâtons dans les roues étaient nombreux. Donc, suite à cette action j’ai gagné en tribunal administratif, la mairie a été très mesquine envers moi, ils m’ont fait tout ce qu’ils ont pu par derrière, ils m’ont supprimé la possiblité de mettre des affaires dans le grenier que j’occupais auparavant. Enfin, ils ont, ils ont essayé de, d’un petit peu pourrir ma vie personnelle. Et ils n’y sont pas arrivés. Donc, pour l’instant, je suis sur ce poste et j’y suis bien ; j’ai ma femme, j’ai ma petite fille et je me sens bien ici. L’intérêt de ce poste, c’est que je me sens très bien avec mes collègues, on a de très bonnes relations, mais il n’empêche qu’on est dans une municipalité qui a beaucoup de mal à s’occuper des enfants, de ses propres enfants. Alors, je pourrais citer quelques exemples pour étayer mes affirmations : lorsque cette cour a été réduite, puisqu’auparavant toute cette partie-là faisait partie de la cour de l’école, on nous a dit : “ ben on va vous prendre toute cette partie ici, ça va devenir notre parking personnel (mairie). En contre-partie, on vous donnera la possibilité d’aller jouer à l’agorespace que nous allons construire ”. Deux ans après, bilan des opérations : l’agorespace ne peut pas se construire parce qu’ils avaient sous-estimé les devis et il faut non seulement 300 000 F pour le construire, et il faut 300 000 F pour gérer l’ensemble qui est autour et le stabiliser. Conclusion, on n’a rien, on n’a aucune installation sportive, on n’a vraiment rien. En dehors de ça, bon, les parents essaient de faire avancer les choses mais c’est très très difficile. On se heurte à un mur, c’est une personne euh. Donc, le maire est une femme hein, Mme V., qui est une personne très affable, très gentille lorsque vous la voyez, qui va toujours vous dire : oui, mais après rien ne se passe. Voilà. Donc, c’est vraiment laisser faire les choses, c’est un discours politique en permanence, et tout est bien, on enrobe tout ça et puis on retourne les gens et on continue comme avant. Rien ne se passe hein. Voilà. Pour avoir par exemple une sortie de secours, donc ici, qui est juste derrière ces portes, j’ai dû remonter jusqu’au ministre pour avoir le droit d’avoir cette sortie de secours, qu’ils me la fassent finalement. Donc, tout est comme ça, à couteaux tirés. Bon, le 2ème problème que j’ai rencontré, c’est que lorsque l’on se met à dos des personnes aussi importantes, et bien l’inspecteur ne vous soutient pas. Mais alors, pas du tout. A tel point que moi, j’étais dans mes fonctions de directeur, l’inspecteur est venu me voir en me disant : “ vous ne pouvez plus être directeur, c’est fini, je vous retire votre charge ”. Tout simplement parce que le maire est allé voir l’Inspecteur d’Académie en lui disant : “ Voilà, Mr M. a engagé une action en justice contre moi, je trouve scandaleux de la part d’une personne fonctionnaire, etc. ” Hein, et donc l’inspecteur départemental, Mr J. en l’occurrence, m’a demandé de ne plus remplir les fonctions de directeur que j’occupais jusqu’à présent, dans un but d’assainir les relations qu’il y avait entre l’école et la mairie. Et il a le droit, c’est dans les textes. Don,c tout ça pour vous dire un petit peu le contexte dans lequel j’ai fonctionné et je fonctionne actuellement. Alors bon, dans les points négatifs, on va s’arrêter parce que moi je me fais énormément plaisir dans ma classe. D’ailleurs voyez, elle est très spacieuse, il s’y passe beaucoup de choses, j’adore être avec les enfants, et c’est vrai que je me ressource énormément à leur contact. La difficulté peut-être, pour un enseignant, c’est de rester dans sa classe, c’est de ne pas avoir un extérieur et d’être coupé un petit peu du monde des adultes. Donc par ailleurs, comme j’ai pas mal de diplômes, que ce soit dans le domaine sportif ou éducatif, j’ai aussi d’autres activités, c’est-à-dire que, depuis 5 ans maintenant, je suis entraîneur professionnel sur la ville d’A. pour le club d’A.-natation, où je me suis occupé des groupes élite ; actuellement je m’occupe des débutants. Et j’essaie de faire avancer le club, non pas dans une dominante compétition parce que tout club est pour la compétition, mais dans un but plus éducatif et plus ludique. Donc, j’essaie de compenser un petit peu le côté performance qui a été donné sur ce club par mon action au sein du club. Dans les actions éducatives, là, depuis que j’ai ma fille je me suis un peu calmé, mais sinon je faisais beaucoup de centres de vacances, de colonies, de camps d’ados et de choses comme ça. Et j’avais même, même étant instit, je me débrouillais pour faire maître-nageur un mois, j’étais donc à T., sur le lac d’A. où je surveillais le lac. Et donc là, j’avais des compétences professionnelles qui me permettaient d’être en prise directe avec la réalité. Donc, j’ai toujours essayé de, de garder, de garder le contact avec ce qui se passe dans le monde du travail puisque, par ma formation, j’ai travaillé aussi avec le Greta qui était formation professionnelle, permanence-accueil-information jeunes, et donc on essayait de récupérer des enfants, on récupérait d’ailleurs des enfants qui sortaient du système scolaire, qui avaient rien du tout, pour leur permettre ... On leur remettait donc le pied à l’étrier, donc on refaisait une formation de base, on prenait contact avec des entreprises, on leur faisait faire des stages et on les faisait réembaucher donc, à la suite de ça. C’est vrai que le souci des jeunes qui cherchent un emploi et d’ailleurs actuellement j’ai une stagiaire, vous l’avez peut-être vue dans la cour et je continue à essayer de donner mes conseils aux jeunes qui cherchent un emploi, parce que y a les voies royales, y a les voies qui sont moins royales mais qui permettent de parvenir au même résultat, qui sont efficaces et qu’on ne connaît pas forcément, qu’on a beaucoup de mal à avoir. En fait on manque d’information quand on est dans ce cadre, hein. Donc voilà un petit peu mon action. Les actions positives, ben moi j’en ai beaucoup avec des collègues, avec mes vies en dehors de N., parce que depuis qu’il y a eu cette histoire, je ne peux pas me lier d’amitié avec un parent sans que les parents me disent : “ Oh, mais qu’est-ce que t’as fait ? T’aurais dû retirer ta plainte ”. Donc, ça a fait une histoire, donc, j’ai peu de contact avec les gens du coin ,si ce n’est par rapport à leurs enfants, des choses comme ça, ou par rapport à d’autres communes où je suis passé, où j’ai gardé des contacts avec les parents, où je joue au tennis avec eux, où j’ai d’autres activités, des sorties. Sur N. je n’en ai pas. Donc, je vis dans ma classe, avec mes collègues, et à l’extérieur de N. Donc voilà, en gros hein, mon parcours. Après bon, j’ai beaucoup de plaisir à travailler avec les maternelles, parce que j’aurais pu changer de niveau finalement. C’est là où se mettent en place toutes les structures d’un enfant. Et même bien avant à mon avis. Donc actuellement, mon projet c’est de faire en sorte que les femmes qui accouchent aient aussi une formation psychologique pour savoir qu’il est important de jouer avec leur enfant. Et nous, on le voit. Les parents qui n’ont pas joué avec leur enfant, y a un écart énorme entre eux. Donc, j’aimerais essayer de mettre en place, de faire mettre en place parce que je connais des personnes psychologues, médecins, qui travaillent à la DASS, et j’aimerais faire mettre en place ce système-là pour permettre à ces enfants d’arriver à peu près sur un niveau d’égalité. Ça permettrait d’aller plus vite et de pas se retrouver dans des situations de détresse comme on a pu le voir par ailleurs.

  • Vous en avez

  • Oui, là j’en ai. Pourtant on est pas en ZEP mais il n’empêche que ces enfants sont en difficulté. Oui, donc ça, ce sont mes actions par ailleurs qui en fait découlent de mes actions sur le terrain, si vous voulez hein ! Là je viens de faire un stage de 3 semaines à l’IUFM où on a vu un petit peu comment aborder tout ce qui était scientifique au niveau des maternelles. Et c’est vrai qu’au niveau des enseignants, notamment Mr P., par exemple, qui est professeur de Mathématiques, que vous connaissez peut-être, qui a enseigné aussi bien en Maths spé., en lycée, en enseignement professionnel qu’actuellement en formation pour les enseignants et qui fait aussi, justement, du travail avec les maternelles, et il en est arrivé à travailler avec les maternelles parce que c’est là où se mettent en place beaucoup de choses, et c’est là où on peut bien les mettre en place. Donc, c’est pour ça que je voudrais même remonter avant, lorsque les mamans vont accoucher, qu’elles sachent déjà qu’il y a des choses importantes à faire avec leur enfant. Donc ça, j’estime que je peux essayer de faire passer ce message auprès des personnes que je connais, qui peuvent avoir une influence sur la formation des femmes enceintes telle qu’elle se préconise actuellement. Voilà donc un petit peu, bon, mon parcours et mes ambitions à l’heure actuelle.

  • Je souhaiterai quelques exemples concrets

  • Alors, situations de détresse, y a plusieurs options. J’ai eu des enfants qui étaient en détresse parce qu’ils étaient sourds. Et à l’époque, malheureusement, on n’avait pas de détection très précoce comme ça se fait maintenant. C’est-à-dire que les médecins ne les voyaient, les médecins scolaires, ne les voyaient qu’à partir de 5 ans, grande section. Actuellement, on travaille avec la PMI et donc, on peut les voir avant, dès 3 ans. Donc, lorsque j’ai commencé, y a des problèmes qui auraient pu être réglés grâce à ces structures qui se sont mises en place tout récemment, puisque c’est l’an dernier, hein, que ça s’est mis en place. Donc, des parents qui ne voulaient absolument pas comprendre que leur enfant était sourd. Alors, ils avaient des otites en permanence, ils les traitaient de façon naturopathe et ça ne marchait pas. Et donc cet enfant s’est enfermé dans, pas une forme d’autisme, mais c’était presque ça, il était complètement à l’écart des autres enfants. Et la maman était par ailleurs infirmière, et elle avait un beau-frère qu’était médecin. Donc, j’ai discuté même avec le beau-frère aussi, qui ne comprenait pas l’attitude de sa belle-soeur. Alors bon, et cet enfant donc a été en échec total au niveau de l’enseignement français. Il est allé sur Suisse où le niveau, enfin on prend un peu plus de temps pour les faire travailler, et cet enfant a de grosses difficultés. Et là, quand je l’ai revu, il avait vraiment du mal à construire des phrases, à mémoriser des choses qui se disent. Donc ça, c’est un échec si vous voulez, qui (ne) devrait plus se produire. Mes échecs à l’heure actuelle, donc depuis que ce système a été mis en place, tient moins à des problèmes biologiques, hein, audition, vision, des choses comme ça, que d’un problème de ce qu’ils ont vécu avant, de ce qu’ils ont vécu avant. Par exemple, des parents qui les ont ... où les enfants n’ont pas rencontré d’autres enfants, ils sont pas allés en crèche, en garderie, ils ont été gardés. La maman a fait vraiment l’effort de s’occuper de son enfant pendant 3 ans, il a été chouchouté, c’était le premier de la famille, elle n’a pas joué avec lui. Alors là, ça fait des enfants qui ont beaucoup de mal, du mal à s’intégrer, à se socialiser, du mal à écouter les consignes, à les respecter, et du mal à mettre en place des structures logiques qui sont indispensables pour la suite. Alors là, j’en ai un, bon, j’avais même demandé à la maman on n’est qu’au mois de novembre hein, mais je l’ai détecté tout de suite en septembre j’avais même demandé à la maman de lui faire passer des tests visuels pour savoir s’il était pas daltonien parce que “ la même couleur que ” il arrivait pas. Même un puzzle avec deux images, puisque j’en suis là, à les regrouper, c’est pas évident pour lui, il n’y arrive pas. Donc, j’espère que ça va se régler, et j’espère qu’on va y arriver. Donc, si on se revoit ultérieurement je vous en reparlerai mais pour l’instant il a progressé, c’est vrai, au niveau socialisation, mais pour l’instant, pour moi, c’est un échec, pour l’instant. Pourtant les parents sont enseignants, donc j’ai un contact relativement facile avec eux, mais par expérience, je sais qu’on peut pas trop dire des choses aux parents sans se les mettre à dos, et donc il faut avoir beaucoup de diplomatie, voire faire intervenir d’autres personnes pour qu’on puisse aller dans le sens de l’enfant. Parce que dire les choses, et puis bloquer la situation, ça sert à rien donc ... Donc j’ai beaucoup de scrupules à dire des choses qui puissent être prises de façon négative par les parents. Voilà, donc ça c’est un 2ème cas. Il va être vu par le médecin scolaire, donc j’aurai aussi son avis, éventuellement on fera intervenir le psychologue, etc. Donc ça va se mettre en place dès l’âge de 3 ans. Alors qu’avant on pouvait pas faire ça avant 5 ans. C’est quand même très important d’intervenir le plus tôt possible. Et ça c’est vraiment ce que je pense. On a de la chance d’avoir des psychologues qui interviennent assez rapidement sur le secteur, assez rapidement c’est au bout de 6 mois (rire) mais bon, avant on ne les avait pas, mais c’est un véritable fait hein, les psychologues ne peuvent pas se couper en 4 non plus. Mais c’est vrai que sur N. c’est une situation difficile qui est connue dans le temps parce qu’on a eu des enfants du voyage, parce qu’on a des enfants de la DASS qui sont gardés par des parents qui sont familles d’accueil, et donc c’est aussi pour ça que les psychologues sont assez attentifs à nos demandes. Voilà. Bon. Il n’empêche que moi je suis un peu déçu sur mon action dans la mesure où je vois que les enfants, qui sortent en difficulté de la maternelle, continuent à avoir des difficultés jusqu’en secondaire, puisque maintenant le temps que j’ai passé à N. m’a permis de voir les enfants qui étaient en maternelle et qui sont en 5ème. Donc je vois bien que ces enfants qui étaient en difficulté, on les retrouve en difficulté tout au long du parcours. Donc, je pense qu’en maternelle il faut vraiment mettre les gens les plus compétents, et vraiment axer des psychologues, et éventuellement des gens qui viennent en plus, pour soutenir des enfants en difficulté, et je pense que ça se passe même avant. C’est pour ça que je vous dis : “ il faudrait même intervenir avant ”. Alors qu’au départ j’étais contre la scolarisation des enfants de 2 ans, mais je me rends compte, qu’en fait, ce serait une bonne chose pour ces enfants-là qui ont des difficultés à se socialiser, à les scolariser avant ; ça leur permettrait d’avoir au moins une porte de sortie, une ouverture parce qu’autrement ils sont enfermés dans leur cocon. Donc j’en suis là un petit peu dans les conclusions, par rapport à mon parcours en maternelle.

  • Et dans les choses positives ?

  • Et dans les choses positives, eh bien on arrive quand même à faire avancer la majorité des enfants à un niveau correct, mais il reste, je dirai en général, 2 enfants sur 30 qui ont ce genre de difficulté, qui ont eu ce parcours un peu particulier, et qu’on a beaucoup de mal à faire avancer. 2 enfants sur 30, ça représente, on multiplie hein, 2 fois 3, ça fait une dizaine de pour cent d’enfants qui seront en difficulté et ça c’est trop, ça c’est trop. Je pense qu’on pourrait les régler, je pense qu’on pourrait les régler. Mais ça, c’est une note d’espoir hein pour moi. Mais il faut peut être intervenir avant la maternelle. Parce qu’en maternelle maintenant, j’arrive à avoir des stagiaires, j’arrive à avoir des gens qui me permettent justement de faire ce travail différencié et d’agir sur ces enfants qui sont en difficulté. On a des conditions qui sont meilleures ici parce qu’on a eu une création l’an dernier et donc on a des effectifs de 20 élèves. Donc, c’est vrai qu’on peut vraiment s’en occuper, vraiment les faire avancer. Lorsqu’il y a une difficulté dans un domaine, on essaie vraiment de savoir exactement où ça pèche pour arriver à les récupérer. On peut se permettre de le faire, alors qu’à 30 on a beaucoup de mal. Voilà. Donc je pense qu’il faudrait maintenant... Mon action maintenant c’est ça, faire passer ça pour avant. Voilà. Non, sinon je vois qu’avec 20 élèves, je fais pratiquement le travail que je faisais avec les grandes sections, donc pour moi on peut faire

  • Parce que vous avez les

  • Là, j’ai les petite et moyenne sections. Donc moyenne section voyez, ils arrivent à faire un travail de grande section : structuration logique par rapport à une comptine, mettre les images dans l’ordre, et là il y a quand même cinq, six images, donc c’est un travail de grande section. Donc je pense qu’on va pouvoir aller beaucoup plus loin, et on aura les enfants encore plus éveillés. Après, ce qui me gêne un peu c’est ... la différence qu’on peut faire entre la maternelle et le primaire, mais là justement, le collègue avec qui je travaille s’occupe des CP et des grandes sections, donc ce qui fait qu’il y a quand même une transition plus douce que ce qu’elle peut se faire puisque les enfants de maternelle connaissent les grands, ils ont des activités communes donc il y a moins de traumatismes, je pense, pour les enfants. Parce qu’ils ont besoin d’avoir une assise affective, que ce soit au niveau des parents, au niveau des enseignants elle est aussi très forte, et je pense que là on est en mesure de la leur apporter. Voilà en gros hein ... Mais je suis persuadé que tout se passe au tout début. Moi, j’ai beaucoup de plaisir à enseigner au CM parce que les enfants sont plus autonomes, on peut avoir des projets plus ambitieux mais, c’est vrai que, si on veut intervenir sur les processus qui se mettent en place, la structure logique, sur la façon de prononcer, sur la façon de structurer ses idées, ça se met en place tout ... même avant moi. Moi, j’essaie de récupérer mais c’est difficile et ... Mais, vu que les conditions matérielles deviennent bonnes, j’espère, justement ces enfants qui sont en difficulté, j’espère arriver à les aider. Bon, après on a des cas particuliers, comme les enfants qui sont du voyage, et lorsqu’on essaie vraiment de les aider, ils s’en vont, ils vont plus loin. Même, je sais que j’ai amené des enfants du voyage à la piscine, les parents ne voulaient pas, je devais répondre sur ma vie pour qu’ils acceptent de les mettre. Je l’ai fait, ça s’est bien passé, les enfants maintenant savent nager, ils ont une autre vision des choses, mais c’est aussi payer de sa personne et bon, je sais pas si tout le monde peut être amené à prendre ce genre de décision, c’est délicat quand même, hein ! Parce qu’ils ont pas les mêmes valeurs, les mêmes fonctionnements, les mêmes repères, hein !

  • Alors, en fait, vous avez choisi la maternelle, vous auriez tout aussi bien pu travailler dans des classes plus grandes, c’est vraiment

  • Oui, c’est parce que je crois que c’est vraiment plus important, c’est là où tout se passe. Après, je sais pas, au collège ou au lycée, pour motiver les élèves c’était très difficile. Fallait : “ bon c’est une classe d’examen de toutes façons vous avez l’examen à la fin de l’année ” ou alors on a une pression administrative très lourde mais la motivation ... J’ai été éducateur dans une ville avec des fonctions d’animateur, et bien, pour arriver à motiver les enfants, c’est ce qui est le plus dur. Quand j’ai été recruté pour cette ville, on était, je sais pas, une centaine d’animateurs. J’ai été choisi parce que pour moi, motiver les enfants c’était vraiment la base. Et arriver à les motiver, j’avais trouvé des façons pour arriver à les motiver, qui intéressaient donc les gens avec qui je travaillais. Et je vous le cache pas, j’allais dans les bars chercher les jeunes, plutôt que d’aller se droguer donc on allait faire de la voile, on mettait en place une structure de ski, et c’est ça. Alors les enfants de maternelle, ils sont motivés, y a pas de problème. Les enfants en collège et en lycée, c’est beaucoup plus dur. Moi, mon 1ier objectif, et je le dis aux parents, quand ils sont en maternelle, c’est qu’ils aient envie de venir. Ça c’est la 1ière chose. Qu’il (n’) y ait plus de pleurs, qu’ils se fassent plaisir, bon ben c’est vrai que j’ai la chance d’être musicien, donc je joue de la guitare, pour les petits ça a un côté magique. Bon j’ai beaucoup de cordes à mon arc, il faut que, ça doit être un lieu convivial, un lieu où l’on se fait plaisir. Et je suis d’autant plus exigent qu’il y a beaucoup d’espaces de liberté dans la classe. Et donc c’est vrai, pour l’instant, j’ai beaucoup de plaisir à enseigner en maternelle.

  • Et vous enseigniez quoi au collège ?

  • L’éducation physique et sportive. Dans ma formation j’ai fait un DEUG, et à l’époque c’est vrai que c’était assez novateur parce qu’on avait la chance de faire des stages, stages en maternelle j’avais déjà fait, stages en primaire, et puis stages en collège, stages en lycée, stages en enseignement professionnel. Donc, j’avais déjà eu ce contact avec des enseignants de primaire, de maternelle, et de collège, et de lycée. D’ailleurs, je dois dire que, la maternelle, c’était pas du tout une classe qui m’avait attiré. Parce que, pour moi c’était fouilli, c’était ... En plus, les enseignants avec qui j’avais été : “ Ne touche pas ça ! Ne fais pas ça, c’est dangereux ! ” Donc, c’était pas une classe qui m’avait attiré de prime abord. C’est au fur et à mesure du cursus que j’ai pu avoir, que j’ai vu que les structures se mettaient en place avant, et qu’il fallait agir bien avant. Je sais pas, moi je me souviens avoir créé un stade pour des jeunes qui étaient défavorisés. Donc j’ai travaillé de concert avec la mairie, la maison des jeunes à l’époque, et quand j’étais accueilli à cet endroit, on me lançait des cailloux, sur ma voiture et sur moi. Et au bout de 3 mois donc, je commençais à être collègue avec les jeunes puisque j’allais jouer au ballon avec eux. Après, on a eu le projet de construire ce stade, donc ça se passait à A., le stade existe toujours d’ailleurs puisqu’on l’a fait construire. Donc, avec les jeunes on avait eu ce projet de monter un stade, le terrain était pas très loin de chez eux, c’était un terrain qu’on a fait aplanir avec des grosses machines, on a tracé des bandes et on a créé ce terrain. On a commencé à organiser des tournois inter quartiers, que les jeunes ne se sentent pas exclus hors des quartiers, ça marchait très bien. et l’année d’après donc j’étais toujours animateur la mairie m’a dit : “ c’est fini. On n’a plus de sous. On ne peut plus vous embaucher ”. Et donc y a plus rien eu. Y avait plus d’argent pour faire fonctionner les animateurs et les éducateurs. Donc ces jeunes, ben, le gars qu’est venu après moi, il a dû s’en prendre plein la tête parce qu’on leur fait miroiter plein de choses et après, du jour au lendemain, on laisse tomber. Alors, c’est vrai qu’il y a de quoi être déçu, et moi je comprends très bien qu’il y ait des jeunes qui se révoltent, des jeunes qui mettent le feu aux voitures, parce qu’il y a des choses qui, à un certain âge, qui ne sont pas tolérables. Qui ne sont pas tolérables. Dans la détresse où ils vivaient, leur faire miroiter cet espoir et puis après, leur couper l’herbe sous le pied, c’est quelque chose d’inhumain. C’est les prendre pour moins que rien. Et même nous. C’est pour ça qu’après je suis parti de ces actions d’éducateur, d’animateur, parce qu’on était trop tributaire des mairies qui, du jour au lendemain, pouvaient changer de politique. Alors on ne pouvait pas avoir une action à long terme, c’était pas possible. Donc, c’est pour ça que je préférais être indépendant, parce que c’est vrai que, dans une classe, vous avez une marge de manoeuvre qui est énorme, parce que l’inspecteur vient vous voir tous les 3 ans, on comprend et on construit nos progressions pédagogiques comme on l’entend. En maternelle, on est encore bien plus libre pour construire ses progressions, pour aborder les thèmes que l’on souhaite. Je pense qu’en primaire on doit pouvoir le faire, mais il faut oser le faire. Il faut pouvoir se libérer des programmes, mais je pense qu’il faut aussi un certain vécu derrière pour pouvoir faire face aux parents qui, on vous dira : “ oui mais vous avez pas encore faire ça au programme ”, pouvoir expliquer et avoir le cran d’aller jusqu’au bout, et de montrer que ce qu’on fait est bon. Mais je pense que c’est possible de prendre de la distance par rapport au programme, que c’est ça qui étouffe vraiment les enseignants, et qui fait que l’enseignement est un peu trop stéréotypé, un peu trop guindé. Je sais pas, ce qui est important, quand on voit les jeunes qui sont en difficulté aujourd’hui, qu’est-ce qui est important pour eux ? C’est de savoir s’adapter en permanence à un marché qui est en train d’évoluer ! Donc, ce qu’il faut, c’est que les enfants puissent s’adapter très rapidement à la situation qui change, c’est être bien dans sa peau pour pouvoir prétendre à tel ou tel emploi, et puis oser le faire. Ne pas faire que l’échec soit quelque chose qui vous coupe les pattes, au contraire qu’il soit quelque chose de constructif : “ ben j’ai pas eu ça parce qu’il me manque telle chose et telle chose où je me suis mal comporté, ben je vais pouvoir progresser ”. L’échec est une façon de progresser. Et donc tout ça, ce sont des messages qu’il faut faire passer à l’école, et faut pas faire passer un message d’erreur ou un message de : “ je suis le dernier de la classe ”. Chaque enfant a quelque chose de positif. Et je vois, y a des enfants qui sont en échec, on a monté une société cette année, eh bien y a des enfants qui étaient derniers qui se retrouvent premiers. Eh bien, pour eux c’est merveilleusement valorisant. Et ça c’est positif, et il faut valoriser ce genre d’initiative, et je crois que c’est ça qui manque en dehors ... Parce que bon, les conditions matérielles, on voit bien en Suisse ils ont toutes les conditions matérielles qu’ils voulaient, ils ont passé à 18 par classe, c’est pas pour ça que le taux d’échec a diminué. Non, c’est pas là-dessus qu’il faut jouer. Il faut jouer sur les programmes, il faut jouer sur, peut-être d’autres, oui une autre approche, voir ce qui manque aux jeunes qui n’ont pas de boulot, voir ce qui pourrait être intéressant pour eux, et l’intégrer parce qu’on va le retrouver. Quand on change d’emploi, on voit bien qu’il faut s’adapter très rapidement , le patron il va vous payer une formation qui va durer 3 jours, une semaine, et après il veut que vous soyez opérationnel. On est dans un système qui doit être compétitif et viable économiquement, donc ce sont des notions qu’on doit avoir en tête quand on est enseignant, et pour ça il faut pas être coupé, non plus, du milieu du travail. Donc je pense qu’il y a beaucoup de choses au niveau de la formation des enseignants avant. Enfin, il y a eu une tranche de formation IUFM où on demandait aux enseignants d’avoir un mois c’est pas beaucoup mais c’est déjà ça un mois de travail avant, validé, et un mois de stage dans une association. Alors ça, c’était bien parce que déjà ça montrait ce qu’était le monde du travail et le monde associatif, qui sont deux mondes avec lesquels on doit fonctionner de toute façon. A l’EN, on parle un petit peu de pédagogie Freinet et de pédagogie institutionnelle, on en parle un petit peu mais très peu, très très peu.

  • Parce que c’est au niveau de la formation, de la capacité du maître à s’adapter à l’enfant en face de lui

  • Tout à fait. Mais je crois que Freinet c’est même, je crois qu’entre les deux y a tout un monde. Disons que, aller d’un coup dans un système, c’est se mettre à dos tout un tas de personnes, et je crois qu’il faut faire évoluer les choses tout doucement par les idées, par les discussions qu’on peut avoir avec d’autres enseignants. Je sais pas, quand j’étais à l’IUFM j’en arrive juste hein on a échangé nos idées et on a pu mettre en avant des choses qui nous paraissaient importantes, que ce soit telle notion: ben le programme il est pour tout changer, on va se déculpabiliser par rapport à ce programme et on va se dire : “ mais ça, on va essayer de le traiter à fond, essayer de voir tout ce qu’il y a autour ”. Mais on va pas le faire en disant : “ c’est de la pédagogie Freinet ” parce que ça fait un peu peur pour certains. Donc, je crois qu’on est un milieu qu’est quand même très fermé hein malgré tout. Donc, si on veut faire changer les choses, on ne peut le faire que de l’intérieur, et puis on peut le faire en faisant évoluer les gens en groupe et pas en personne. Parler de personne à personne ça marchera pas, mais parler au sein d’un groupe comme je peux le faire quand je suis en cours de stage, discuter avec les gens, ça je crois que c’est positif parce qu’on s’échange nos expériences, et puis ça permet de faire, de prendre le meilleur et puis de le faire avancer. Je ne crois pas qu’on puisse imposer, mais je crois qu’il y a des mots qui font peur actuellement. Mais je vous dis, y a tout ce frein au niveau des parents, je pense que c’est plus facile sur une classe unique dans une montagne, que dans une structure en ville où il y a 20 classes, bon. C’est un ensemble de choses, hein ! Il faut apprendre à vivre, c’est les collègues, et pas que le collègue qu’est juste au-dessus de vous, qui vous disent : “ oh ben ils savent rien cette année, ils sont nuls ”, et il dit ça aux parents, et il vous coupe l’herbe sous les pieds vous êtes obligé de partir. Il faut se méfier ; on est dans un milieu où on est regardé ; enseigner c’est un peu comme faire du théâtre de toutes façons. Et puis on est toujours au vu de tout le monde, et les gens vous cataloguent vite dans une catégorie, donc y a ce côté-là hein ! Quand on discute avec les enseignants, ce côté-là est assez important dans leur vie personnelle. Pourtant, Dieu sait si je suis allé doucement, mais au début je passais pour révolutionnaire. Maintenant ça va, je suis accepté, mais je ne l’ai pas été pendant pas mal de temps, que ce soit au niveau hiérarchique, au niveau de la mairie, et au niveau des parents. C’est dans une structure où maintenant je suis bien, mais de toutes façons je sais très bien bien que, s’il y a le moindre problème, je ne serai pas soutenu par ma hiérarchie, et on me mettra la tête dans l’eau. Donc, il faut pas que je me leurre hein, je le sais très bien. Il faut rien attendre de qui que ce soit, tout en espérant qu’on va vous donner un coup de main à un moment ou à un autre. Mais au moins, vous êtes pas déçu. Il faut construire sa vie comme ça, et ça permet de faire ce à quoi l’on croit, de faire avancer les choses tout doucement. Parce qu’au bout d’un moment, on reconnaît que ce que vous avez fait est bien. Donc, à ce moment-là, on va commencer à dire : “ Ben tiens, c’est vrai que c’était pas mal ce qu’il a dit, il est allé jusqu’au bout de ce qu’il a dit, les enfants sont bien équilibrés, ils savent des choses ” et ils vont vous accepter. Mais c’est difficile, c’est difficile.

  • La cohérence, c’est important pour vous

  • La cohérence, c’est très important. Etre cohérent soi-même, cohérent dans ses actions, ah oui. Il faut être suffisamment fort pour pouvoir faire avancer ses idées, et pouvoir les mettre en pratique aussi. Sinon on tient pas. Et là, on la chance en tant qu’enseignant, on a quand même des chances moi j’ai travaillé dans le privé, dans les milieux associatifs, dans différentes structures dans notre classe on est le maître malgré tout, on peut faire ce qu’on veut. Bon, le but c’est faire en sorte que les enfants s’épanouissent le mieux possible, qu’ils aillent le plus loin possible, etc., mais on le conçoit comme on veut. Donc après, si on est suffisamment fort, on peut partir dans la direction que l’on veut. En sachant qu’il y a ... là encore il faut bien se méfier de ce qu’on peut dire parce qu’on a tout de suite tous les parents sur le dos. Donc, c’est vrai qu’on a des marges de manoeuvre assez importantes, mais il y a des sujets tabous, y a des choses qu’il faut se méfier. Faut se méfier parce qu’on va pas nous louper. Moi, je sais que je suis pas du tout soutenu au niveau de la hiérarchie, ça je le sens, parce que le rôle d’un inspecteur ça devrait être de nous aider, actuellement c’est plutôt d’être tranquille. C’est malheureux de le dire mais, quand y a des parents qui téléphonent parce qu’ils ont pris l’habitude de téléphoner à l’inspection, paraît-il, y a des poux à l’école, les parents téléphonent : “ y a des poux ”, c’est pas normal. Et on sait, moi je sais que je ne suis pas soutenu, et ça c’est pas normal. L’an dernier j’ai dit : “ Ecoutez Mr J., j’accepte de prendre le poste de direction si vous me l’ordonnez parce qu’il avait le droit de me l’ordonner, c’est une prérogative qu’ils ont, mais je veux que (?) ”. Il m’a dit : “ Ecoutez, je vais réfléchir  ”. Il l’a donné à un normalien qui est sortant, qui n’a que 3 ans de boîte, pour ne pas me mettre sur ce poste parce qu’il savait que, s’il y avait des problèmes, il me soutiendrait pas. C’est ça que ça veut dire. C’est assez malheureux, je trouve. Donc, c’est pour ça, je suis bien dans ma classe, mais je fais un peu cavalier seul malgré tout. Et puis mes collègues sont jeunes, un oui très jeune, bon l’autre non, elle est allée au Canada, elle a une autre vision de la vie, elle a vécu 25 ans là-bas dans un établissement qui était sous convention française, son mari était aux Etats Unis, ils ont d’autres, d’ailleurs pour eux c’était le Moyen Age hein quand ils sont arrivés ici. Et elle avait beaucoup de mal à se faire à cette façon de vivre.